Je me demande
si cinq litres de sang peuvent être bus par des fibres
si les oiseaux picorent les chairs et les bouts d'os
si on sait quel arbre donne l'émail des dents
si la lymphe est un fertilisant
si les souvenirs s'échouent dans les poumons
je me demande
si sa bouche sourit quelque part dans une île
si elle rit si elle pleure si elle danse si elle jouit
si elle tricote du neuf avec ses vieux tissus
si elle marche gracile boulets de coeur aux pieds
si on sait quelles femmes savent s'évaporer
je me demande si on peut vivre lesté d'incertitudes
je me demande si la mort vaut mieux que la fuite
je me demande si l'absence pèse
................................................l'ombre d'un crime
Lecture du poème par l'auteur avec animation par Julian Grey
1mn52
Traduction du poème Forgetfulness de Billy Collins par Saïdeh Pakravan
Perte de mémoire par Billy Collins
Le nom de l'auteur est le premier à partir
suivi docilement par le titre, l'histoire,
la conclusion déchirante, le roman tout entier
qui devient soudain un roman que vous n'avez jamais lu, dont vous n'avez
même jamais entendu parlé,
comme si, un par un, les souvenirs que vous abritiez
décidaient de prendre leur retraite dans l'hémisphère sud du cerveau,
dans un petit village de pêcheurs ou il n'y a pas de téléphone.
Cela fait longtemps déja que vous avez dit adieu aux neuf muses
et regardé l'équation quadratique faire ses valises,
et là, tout de suite, alors que vous mémorisez l'ordre des planètes,
autre chose prend la fuite, une fleur emblème d'état, peut-être,
ou l'adresse d'un oncle, ou la capitale du Paraguay.
Quoi que ce soit dont vous tentez en vain de vous souvenir,
vous ne l'avez pas sur le bout de la langue,
ni même tapi dans quelque recoin obscur de votre rate.
Cela s'éloigne le long d'une sombre rivière mythologique
dont le nom commence par un L, pour autant qu'il vous en souvienne,
alors que vous partez vous-même vers un oubli où vous allez rejoindre ceux
qui ne savent même plus comment nager ou monter à bicyclette.
Pas étonnant que vous vous leviez au milieu de la nuit
pour rechercher dans un livre sur la guerre la date d'une bataille célèbre.
Pas étonnant que la lune dans la fenêtre semble s'être faufilée
hors d'un poème d'amour que vous avez connu par coeur.
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Saïdeh Pakravan
je n'ai pas un brin
d'imagination
j'exploite et
je ressasse
la fille
le fils
et l'homme
je dissèque la famille
ma caboche, ma cervelle
en milliers
de vers blancs
je recompose
des mots, mes maux
et me remets en tête
salives de poètes
mais la matière grise
est une peau de chagrin
alors je ruse et biaise
je soulève ma calotte
dans mon lobe frontal
un tamanoir grisé
au museau tubulaire
de deux mètres de long
se love au chaud
son tube transparent
pénètre narine, oreille
bouche et autre orifice
pour offrir au cortex
de la matière à moudre
"Avez vous vu le tamanoir ? Oeil bleu, oeil gris, oeil blanc, oeil noir,"
et non, Monsieur Desnos,
personne, les yeux dessillés
ne voit ma bête
"Je n'ai pas vu le tamanoir ! Il est rentré dans son manoir"
et oui, Robert,
une fois rassasiée
ma bête s'épanche
en substance blanche
quand j'observe un ami
un collègue parler
rire à gorge déployée
je vois langues et glottes
mots et grelots de joie
disparaître aspirés
fourmis noires dans le nez
du tamanoir grisé