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mercredi 28 février 2018

Printemps des poètes 2018 #4 : Marlène Tissot

MARLENE TISSOT



"En attendant de servir

Il y a des gens
Qui n’existent pas complètement
C’est pas leur faute
C’est juste qu’on leur a appris trop tôt
A ne pas exister en entier
Même leurs sourires
S’étirent en miniature
Même leurs mots
Evitent d’être trop gros
Même quand ils pissent
Ils évitent de faire du bruit, d’éclabousser
Et c’est pour ça qu’ils ne se jettent pas à l’eau
Parce qu’on leur a appris que c’est mal
D’éclabousser
De faire des vagues
Alors ils restent là
Comme le passager d’un bus
Qui ne saurait pas à quel arrêt descendre
Comme une poupée oubliée au grenier
Il lui manque un œil, à la poupée
Mais on ne l’a pas jetée
Parce qu’on s’est dit qu’elle pourrait servir
Il y a des gens, c’est pareil
Ils ne se jettent pas d’un pont
Parce qu’ils se disent qu’un jour
Ils pourront servir
Ils attendent leur tour
Bien sagement
En cachant avec une frange
L’œil qui leur manque
C’est pour ça qu’ils ne voient pas très bien
Où tout ça va les mener
Et ça ne les mène nulle part
D’exister comme ça
Comme une plante en pot
Qui attend d’être arrosée
Qui attend de crever
Sans faire de bruit
Il y a des gens, ils ne sont pas perdus
Ils ont juste oublié
Où ils s’étaient rangés
Ils existent au ralenti
Respirent en sourdine
Bien pliés au fond d’un tiroir
En attendant de servir
Servir à quoi ?
Ils n’en savent rien
Et ils ne prennent pas le risque
De se poser la question"

 extrait de son site http://monnuage.free.fr/
MON ANTHOLOGIE PERSO

mardi 27 février 2018

Printemps des poètes 2018 #3 : Isabelle Damotte

ISABELLE DAMOTTE



"Caddys

Le père travaillait
sur le parking
alignait
poussait les caddys
à l’abandon
c’était avant
le coup des jetons

La mère
avant
gouvernante dans un grand hôtel
avant les enfants le mariage
avant d’avoir ce qu’elle avait voulu
avait croisé Gary Grant
« J’ai perdu la photo. »

La mère
mi-temps à Chambourcy
rapportait le jeudi à midi
les yaourts
périmés
Pour la première fois
neige et fruits mélangés
la tête nous tournait
à force de souffler
dans les moulins à vent

La mère
avec l’argent des caddys
et des rayons
le père devenu chef des rayons
la mère
avait acheté un costume
que ça se voit
et un après-midi
pour nous
des chaussures hush puppies
on partait à l’école
avec des chiens aux pieds
maman très fière de son affaire

Le père
le jour des deux mille francs
a découpé le gigot
pour fêter ça
la grosse Nadia
à l’école
s’enflait comme un boeuf
avec sa phrase majuscule point à la ligne
Mon père gagne 5000 francs par mois.
L’autre gamine
avec le geste
mon manteau
il a couté la peau des fesses

Le père à la fin
faisait les marchés
juste pour la voix haute
le rire pas caché sous la cape
ça valait bien la peine
de charger la voiture

La mère
quitte à manquer de tout
avait manqué de temps
elle avait prévenu
Vous verrez
il sera trop tard
quand vous irez poser des fleurs
sur ma tombe

On n’y va pas souvent
sur la tombe
on regarde les films
de Gary Grant
On pense au père
on vérifie qu’on a bien
dans la poche
son jeton de caddy"


Paru dans le numéro 53 de la revue Bacchanales /TRAVAIL 

MON ANTHOLOGIE PERSO

lundi 26 février 2018

Printemps des poètes 2018 #2 : Perrine Le Querrec

"à table

À l’entrée des maisons, l’air criblé de moucherons. Les intérieurs, jamais terminés, depuis des générations ils manquent. Suffit d’un toit et de quatre murs. Le reste peut attendre. Sur le pavage de grosses dalles chichement éclairée par de petites meurtrières, la table massive garnie de crasse, vieux meubles, calendrier des postes, un grand coffre, une armoire.
L’élément central, c’est la cafetière
Le sermon
Le silence
Le linge
Les larmes
La cheminée
La pendule
Le carrelage
La toile cirée
Le seau
Le vin
Le bahut
Le piège
L’assiette de soupe, l’éternelle assiette et ne te plains pas tu n’as pas connu quand de soupe il n’y en avait point
Les serviettes tâchées par le repas de la veille
Mâchonner sans dents
Racler le fond du bol, ne rien perdre
Déballer la lame et le lard
Découper le pain, avalanche de miettes
Les tartines grandes comme la main, le bol grand comme le visage
Les fenêtres ne prennent pas de place
Garnies de toiles d’araignées
Tamisent la lumière
La bouche pleine de fromage verse le vin
Ils mangent poitrine contre la table
La mère debout comme les chevaux
Assiettes pleines
Mains gantelées de fumier
Pas le temps de se regarder l’un l’autre
Chaises remuées porte fermée
Cliquetis des cuillères multiplié
Une hâte unanime courbe les dos
La bête à huit bouches s’endort mains dans les poches sur la table éclaboussée de café."

extrait de « L’Apparition », éd. Lunatique, Février 2016

MON ANTHOLOGIE PERSO

dimanche 25 février 2018

Printemps des poètes 2018 #1 : Pénélope Corps

PENELOPE CORPS



 "Super 8

on dirait que la chambre d' hôtel sentirait un peu la pisse
mais que l'aurore serait quand même sublime

on dirait qu'on échapperait à l'industrie
qu'on baiserait les zones de contrôle

on dirait qu' y aurait du sable dans les chips
et qu'on se torcherait la gueule et la bouteille avec l'orage

on dirait que je collerais mon utérus contre la terre
et que tu trouverais ça marrant

on dirait qu'on serait très bons en paysages fabuleux
et que je n'aurais plus ma tronche de cage ambulante
on dirait qu'on se maltraiterait pas trop
qu'on écrirait des poèmes sans le savoir
qu'on vivrait un moment privilégié avec les oiseaux
dans le silence génial des steppes
qui n'en sont pas
je sais

on dirait que les choses seraient aussi simples que ça
que j'aurais une place dans ma famille
et que tu ne penserais pas trop à mourir dans ces moments-là

on dirait ça"


... je rajoute aussi les poètes de MON ANTHOLOGIE PERSO