Y
avait un type à la tête en pain de sucre dans le métro
une
tête en pain de sucre moulé dans un bonnet kaki
et
sa tête en pain de sucre fondait doucement
le
long de ses joues
dans
les plis de son cou
de
longues coulures couleur de cérumen
et
une petite fille à la coiffure afro répétait en boucle
en
tirant la manche de sa mère
« y
a le monsieur qui pleure » « y a le monsieur qui pleure »
et
ses mots tombaient, en boucle aussi, sur ses genoux
comme
de grosses pierres brillantes
je
la regardais par en dessous
j’avais
peur que ce soit la fille du conte
et
que les pierres se transforment soudain hors de sa bouche
en
d’affreux serpents siffleurs
tout
gluants
tout
visqueux
et
qu’ils se faufilent partout
par
tous les trous
j’aurais
dû faire comme les autres dans le métro
m’arracher
les yeux et tenter de les introduire du bout de l’ongle
dans
la rainure entre l’écran et la coque de mon téléphone
seulement
voilà, je me doutais bien en regardant tous ces trous noirs à la
place des yeux qui tournoyaient comme des planètes mortes au fond de
l’espace
qu’il
m’aurait été bien difficile de planquer quoi que ce soit dans le
répertoire de mon téléphone
et
qu’une fois mes yeux arrachés, ils se faufileraient
tout
gluants
tout
visqueux
loin
du reste de mon corps qui pirouetterait comme un poulet sans tête
entre ici et nulle part
alors
je regardais
la
petite fille à la coiffure afro qui regardait
le
type à la tête en pain de sucre qui regardait
essayer
de toutes nos forces de soustraire nos six yeux à l’appel des
trous noirs
elle
avec ses mots comme des pierres précieuses
moi
avec mes yeux tout gluants tout visqueux dans mes orbites
lui
avec sa tête en pain de sucre dans son bonnet kaki semer dans le
métro des larmes
à
l’odeur de caramel
publication initiale dans la revue la Terrasse n°4- décembre 2018