
I
c'est en lisant qu'on devient lit pliant
c'est en pensant qu'on devient pense bête
c'est en spéculant qu'on devient une gaufrette
c'est en remâchant qu'on devient canapé
c'est en réfléchissant que l'on devient miroir
c'est en communiquant qu'on devient une clé
c'est en écrivant qu'on devient écritoire
c'est en sabrant qu'on devient un rasoir
c'est en bassinant qu'on devient une théière
c'est en butinant qu'éclosent des accessoires
c'est en tablant qu'on fait pousser des verres
et c'est en respirant qu'on renouvelle l'air
tu peux entrer t'asseoir :
ma tête est quasiment meublée
II
pour commencer une collection
il faut avoir un cochon
à la peau rose et lustrée.
le cuir de son dos doit être
légèrement incisé.
installer l'animal sur un buffet
et glisser chaque jour un mot dans la fente.
surtout ne pas oublier de caresser la bête :
un cochon blessé conserve mal le papier
dans les conversations, livres, émissions
saisir au vol les plus beaux mots :
gerboise, cressonnette, antimoine
sont de jolis mots.
volontarisme, intégration, rupture
sont plus contestables.
les écrire à l'encre bleue sur du papier de soie
les laisser macérer pendant un ou deux mois.
quand le cochon plein grouine, sortir un récipient
l'ouvrir d'un coup sec, et mélanger en salade
les mots, l'ail, le vinaigre avec quelques pignons
les manger à la fenêtre, en regardant la mer
si on n'a pas la mer, prendre une toile cirée...
III
certains jours ma tête,
mon corps débordent
les mots s'agglutinent
et me bouchent les pores
je me fraie avec peine
un chemin
dans la bouillie sonore
qui ralentit ma marche
qui sature mes veines
mes poumons s'exaspèrent
happent des goulées d'air
les mots de tous côtés
oppressent et asphyxient
ça sent le vieux papier
la fade moisissure
mon épiderme craquelle
là où germent les spores
je voudrais des gens,
je voudrais de la chair
pas des prénoms exsangues
des patronymes vides
des mots sans queue ni tête
pas ces accouplements
des voyelles aux pixels
j'enfonce mes deux poings
sur l'écran de mes yeux
pour l'éblouissement
singulier du silence
mais je sens toujours
couler sur mes cheveux
les mots
de ceux qui savent
de ceux qui dictent
de ceux qui pensent
de ceux qui bandent
de ceux qui éjaculent
la giclée fébrile et molle
des pédoncules