vendredi 31 décembre 2010

Microbe 63












Le 63ème numéro du Microbe est à l’impression.

Au sommaire :
Collages de Cathy Garcia
Nicolas Brulebois
Jean-Marc Couvé
Anna de Sandre
Éric Dejaeger
Patrick Frégonara
Antoine Geniaut
Isabelle Jarlin
Roger Lahu
Pierre Mainguet
Carmelo Marchetta
Murièle Modély
Jany Pineau
Thierry Roquet
Salvatore Sanfilippo
Guillaume Siaudeau
Marlene Tissot

Les abonnés le recevront début janvier. Les abonnés « + » recevront également EASY WRITER, mi(ni)crobe 27 signé Roger Lahu. Les autres ne recevront rien.

Pour s'abonner contacter Eric Dejaeger

jeudi 23 décembre 2010

Noël sera poétique ou ne sera pas


*


*

Il débarque dans la rame
sourcils froncés
sort d’un fourreau
un livre et tire à vue
dans la foule
des balles qui dessinent sur les fronts
des yeux de merlan frit

Fabrice Marzuolo

*



Novopolis de Philippe UG, Livre d'artiste
Calligrammes de Michel P, les éditions du Capitaine
Un Bretzel entre nous de Thierry Roquet, MI(ni)CROBES
Tristana d'un trait de Thierry Roquet, MI(ni)CROBES 
Photo de l'hôtel de la dernière vacance de Fabrice Marzuolo

mercredi 22 décembre 2010

A table


Elle me convoque dans son bureau.
Je suis pas très finaude, mais je sais bien que c'est pour une engueulo.
Comme elle a fait une grande école, et qu'elle a appris avec les meilleurs marketeurs-gestionno-participatif (et tout est dans le participatif, hein, faut pas seulement se faire prendre à sec par derrière, faut aussi tendre son cul et opiner du chef), je sais qu'il va y avoir de l'enrobage. Qu'elle va pas me postillonner son mécontentement direct sur la gueule.

Et voilà comme prévu, ça pommade.
Elle cause de ma place, de ma responsabilité, de ma compétence...
Blablabla blablabla.
Putain, je surveille des filles qui rangent des boîtes toute la journée.

Mais bon faut être un minimum coopératif. Après tout, c'est elle qui me fait bouffer.
Alors je commence une phrase, genre explication. Je m'emberlificote. Je recommence, je bafouille (j'ai jamais été douée pour m'exprimer). Je dis une chose, son contraire, je reste la bouche ouverte.
Je mets, j'avoue, pas beaucoup d'entrain à ma participation.

Elle me regarde dans les yeux (ça aussi, elle l'a appris), et elle continue, d'une voix traînante et douce, à recadrer gentiment. Mais comme je reste passive, malgré mes efforts pour avoir l'air de, tout son corps se met à tenir un autre discours.
Ses narines se pincent, ses sourcils se lèvent, un sourire crispé déforme sa lèvre. Je vois bien qu'elle lutte pour pas élever la voix, pour pas me secouer comme un prunier. Je sens bien aussi le mépris qui raidit sa bouche.

Je suis une limace, je reste immobile. J'attends que ça passe. Que ça coule à gros morceaux, que ça glisse de ma tête jusqu'au sol. Elle va devoir faire avec ma mollesse, je vais m'accommoder de sa supériorité.

Chacun est dans son rôle finalement : elle me cause comme à un gosse, je prends l'air soumis.
Je me dis de temps en temps, que j'aimerais bien lui rentrer dans la gorge son assurance, sa coiffure parfaite, son teint de pêche.
Mais en fait, je ne fais rien que regarder ses gros mollets sous le plateau de la table.

Choper un Microbe...



...même minuscule, ça racle, ça tacle, ça gratte, ça décape...

ça file direct dans le cerveau :
"les mots sont points. De vue, de croix, de suture" (Cathy Garcia) ; il y a "du bon gars, élevé au grain, sans pesticide ni OGM" (Marlène Tissot) ; il y a "la poule au cul béni" (Jany Pineau) ...

de la poésie microscopique qui nourrit mon hypocondrie ;-)

s'abonner c'est par ici (blog d'Eric Dejaeger) 

mercredi 15 décembre 2010

Ojos que saben hablar

Animal print

Ojos que saben hablar, blog de l'artiste Mariana Lobosco

lundi 13 décembre 2010

Cela faisait longtemps


Cela faisait longtemps que je n'étais pas allée au café seule
je veux dire longtemps que je ne m'étais pas accoudée à un comptoir
je veux dire qu'il me reste en tête quelques vieux clichés aussi épais
que les sourcils froncés de mon père
je veux dire que pour mon père une fille
la sienne ça ne va pas seule au café

bon, je vais avoir quarante ans, je ne suis plus une fille
alors j'ai poussé la porte et posé mes fesses beaucoup moins vives
beaucoup plus molles sur le tabouret violet près du bar

ah putain ces bruits...
le choc des cuillères, le râle du percolateur, les jets de vapeur
c'est doux comme musique, ça picote les rides
le rouge colombien, ça dilate les poumons
et me revoilà vierge et sacrément liquide
les yeux en maraudage sur les bras de cette fille
qui passe une éponge sale sur les miettes de sucre
elle fait sonner sa caisse, cliqueter quelques pièces
elle sent bon le tabac, une odeur de maïs
une voix rauque, un rire gras

cela faisait longtemps que je n'avais pas offert mon corps
mon cerveau mes yeux aux accords convenus
du café microscope
plus jeune je transgressais
(l'interdit de papa)
et j'avalais sans soif les filles
les gars la vie minuscule
(j'aimais pas le kawa)
j'avais le temps à perdre
et les mots à semer

mais là raide seule plantée
sur mes (presque) quarante balais
la mousse du café 
sur mes lèvres taiseuses
je peine

mercredi 1 décembre 2010

Un fumet de poulet

Benoît a posé sa fesse droite sur le bord de la table.
Une table située légèrement en retrait.
Sans lever les yeux, il sait que la fête bat son plein. A quelques mètres, ça grouille, ça parle, ça enfourne des petits fours dans des bouches largement maquillées, dans des gosiers encombrés de salive. Une concentration d'hormones féminines fait monter la température et une odeur de volaille.

On fête le départ du big boss, qui n'a plus de big que sa voix de ténor. On distingue à peine sa silhouette sous les sourires factices, les mots de circonstances et l'absence de certains. Il ne restera rien de ses quarante et une années de règne.
Autour du buffet, ça s'empiffre et suppute. On cherche sans le dire, dans les traits des visages, le pli du chef.

Le favori des derniers mois est maintenant out ; il n'en finit pas de remâcher sa rage.
Alors la fesse droite posée sur la table, un livre de philosophie ostensiblement dressé devant son visage, il fait semblant de lire.
Généalogie de la Morale de Friedrich Nietzsche, traduit par Patrick Wotling, édition de poche. Il tient le livre droit comme une épée ; chaque regard furtif se heurte à sa lame affutée.

Benoît affirme sans un mot son mépris infini pour leur médiocrité crasse. Et sa hauteur de vue.

Imperceptiblement, ses fesses quittent le plateau de la table, son ombre se met à grimper sur le mur de la salle. Peu à peu son corps, ses vêtements flottent dans le vide. Il finit même par balayer le plafond de son épaisse mèche blonde.

Mais il ne se rend compte de rien, ses yeux sont toujours fixés sur la page 10 de son livre. Plus personne maintenant n'a à subir son orgueil offusqué.

Chacun peut cependant profiter, nez retroussé, lèvres pincées, du fumet de poulet qui s'échappe de ses chaussures.
Les jambes de Benoît balancent mollement sur les nuques courbées.