Elle me convoque dans son bureau.
Je suis pas très finaude, mais je sais bien que c'est pour une engueulo.
Comme elle a fait une grande école, et qu'elle a appris avec les meilleurs
marketeurs-gestionno-participatif (et tout est dans le participatif, hein, faut pas seulement se faire prendre à sec par derrière, faut aussi tendre son cul et opiner du chef), je sais qu'il va y avoir de l'enrobage. Qu'elle va pas me postillonner son mécontentement direct sur la gueule.
Et voilà comme prévu, ça pommade.
Elle cause de ma place, de ma responsabilité, de ma compétence...
Blablabla blablabla.
Putain, je surveille des filles qui rangent des boîtes toute la journée.
Mais bon faut être un minimum coopératif. Après tout, c'est elle qui me fait bouffer.
Alors je commence une phrase, genre explication. Je m'emberlificote. Je recommence, je bafouille (j'ai jamais été douée pour m'exprimer). Je dis une chose, son contraire, je reste la bouche ouverte.
Je mets, j'avoue, pas beaucoup d'entrain à ma participation.
Elle me regarde dans les yeux (ça aussi, elle l'a appris), et elle continue, d'une voix traînante et douce, à recadrer
gentiment. Mais comme je reste passive, malgré mes efforts pour avoir l'air de, tout son corps se met à tenir un autre discours.
Ses narines se pincent, ses sourcils se lèvent, un sourire crispé déforme sa lèvre. Je vois bien qu'elle lutte pour pas élever la voix, pour pas me secouer comme un prunier. Je sens bien aussi le mépris qui raidit sa bouche.
Je suis une limace, je reste immobile. J'attends que ça passe. Que ça coule à gros morceaux, que ça glisse de ma tête jusqu'au sol. Elle va devoir faire avec ma mollesse, je vais m'accommoder de sa supériorité.
Chacun est dans son rôle finalement : elle me cause comme à un gosse, je prends l'air soumis.
Je me dis de temps en temps, que j'aimerais bien lui rentrer dans la gorge son assurance, sa coiffure parfaite, son teint de pêche.
Mais en fait, je ne fais rien que regarder ses gros mollets sous le plateau de la table.