Tu t’es enfin rassise sur le bord de la natte, tes jambes blondes tendues dans l’herbe sèche. Je te regarde en douce. Tu portes le tee-shirt à rayures bleues que tu adores, sur ce short en jean minuscule que je déteste.
Tu boudes. Tes yeux, ta bouche, ton nez, tout est plissé. Ta peau sue sa mauvaise humeur, sous le soleil de ce début d’après-midi d’été.
Je souris de côté, tu as encore sur la lèvre trois miettes de cet immonde gâteau au chocolat. Je te le ferais bien remarquer, mais je me tais. Tu as seize ans et tu es un volcan sur le point d’exploser.
Tout ça parce que j’ai soulevé le bras de ton père pour baiser son aisselle ; tout ça parce qu’avec la même langue, j’ai léché mes dix doigts juste avant le dessert.
Tu t’es levée. « Putain, maman, t’es dégueulasse, tu nous sers le gâteau avec tes doigts qui puent »
Soit dit en passant, tu as mangé ta part, avec des haut-le-cœur c’est vrai, mais tu l’as mangée…
Et maintenant tu boudes, un gouffre nous sépare. Soyons juste, à moi aussi, ton parfum écœurant et sucré de vanille me soulève le cœur.
Alors comment t'atteindre, pour te dire ton père allongé sur le sol, mon ombre sur son torse, ses yeux clos sous mes mains, l’envie de mordre encore sous le bras de ton père, la poussière et la mer ?
Comment te faire simplement comprendre mon penchant pour l’âcre, la sueur, les humeurs, ce qui vit, ce qui meurt, qui chavire le corps ; cet avant-goût tenace de l’odeur fade et chaude de la terre meuble ?