"J'ai toujours vécu sur un mode d'écrire où le poème s'imposait ; il pouvait être bon ou nul, l'affaire était de peu d'importance puisqu'il était en nombre. Il suffisait de trier ensuite. Mais là, c'est autre chose, de l'ordre d'une perte de désir ? La vie va, se poursuit à la fois mécanique et cahotante, répétitive et surprenante, mais pas de quoi bouger la main. Etrange. Au début, j'ai vu cela comme un repos nécessaire, je commence à me demander s'il n'y a pas cessation. Et cela ne me fait rien, comme mort, tranquille. Rien ne s'ajoute, c'est donc qu'il n'y a rien à ajouter.
Bizarre période, que je n'ai pas du tout vue venir ; je ne ressens ni déception, ni peine : c'est. Comme entrer dans un ennui lent. [...] Je me sens parfois comme lisant le texte d'un autre, presque. Ne pas considérer forcément les suicides d'écrivains comme des drames ; c'est aussi une façon d'en finir avec ce qui est déjà fini, clore ce silence quand décidément, il n'y a plus rien à ajouter."
Antoine Emaz, Cuisine, p.155, Publie Papier, 2012