lundi 24 août 2015

lundi 10 août 2015

(c) Anna Malina

"[...] Comme si l’activité de la métaphore et, plus généralement, le domaine du style, restaient sans véritable promesse pour la refiguration individuelle et pour la compréhension poétique des formes du soi. Je voudrais revenir sur ce parallèle et observer les décisions qui s’y jouent pour mettre en débat la notion d’identité narrative, aujourd’hui dominante dans nos représentations de la lecture et de la morale, et pour faire de l’idée d’identité stylistique une autre ressource littéraire de subjectivation.
De ce que l’individu a une histoire, Ricœur conclut avec force qu’il est une histoire. Mais j’aimerais essayer cette idée qu’aussi bien l’individu est un style."


Colloque L’héritage littéraire de Paul Ricœur, Université Sorbonne Nouvelle – Paris ,  17 juin 2010 au 19 juin 2010
(c) Anna Malina

Le réel est une gousse d'ail qui finit une fois de plus sous le martèlement du pilon
purée blanche suintante, fortement odorante sous la pulpe du doigt
ainsi va le poème
le broiement du monde
sa matière blanche semblable à la chair molle
 qui pénètre jusque sous la lunule de l'ongle
et tu répètes pour toi seule
car personne ne doit voir les mouvements sous ta bouche scellée
« putain, je ne comprends rien »
tu dis « putain » et te déteste de mettre au féminin
ton abrutissement qui pose ses forces érectiles
comme deux doigts puissants sur tes tempes
tout autour de toi devient glaise
sous le claquement incessant de tes dents
ainsi va le poème
la tentative d'écrasement d'un monde
sous le rouleau compresseur du mot
est-ce que de le balancer cul par dessus tête
te fera plus aisément pénétrer le trou de la pensée
à quel moment précis le poème cesse
de feindre
simuler
pour te dire

lundi 3 août 2015

"Une leçon" de Stéphane Bernard

"replongé dans cette eau des autres, le corps gît vite parmi les objets
qu’avec lui-même il a rejetés. livres, carnets, chimies jonchent le sol.
plus loin que le reflet dans la porte vitrée des pieds de la petite table
des enfants, ce qui organise la vie dans ce corps, c’est-à-dire je,
observe le reflet des voûtes plantaires inertes, des segments
des mollets qu’un halo grisâtre de poils recouvre. je pense à lui mort,
au cadavre défectueusement pudique dans le salon. au trésor
mais sans rien, et qui, sa serrure forcée, n’offrira que l’immondice
où le sceller. l’ombre sanieuse à frotter. et qui gâchera quelque chose
mais quoi ? je regarde - parmi les livres, les carnets, les chimies –
les reflets de ces jambes, de ces pieds derrière ceux de la petite table
comme des barreaux. je reconnaît la Leçon d’anatomie du docteur Tulp.
je regarde, observe le faux Rembrandt. s’étonne mais sans brusquerie.
les jambes sont bien reproduites. les pieds, à s’y méprendre. ce
en quoi je consiste. aujourd’hui. toujours. copie de bonne facture
d’un détail dans une peinture de maître. reproduction incomplète
d’un mort de l’art. je figure un mort. détruit par décision de justice,
déchiré par la science. comme ce corps d’Aris Kindt, détrousseur,
la jeune quarantaine. et que le pinceau à jamais auxiliaire d’un regard
lui entier dépèce et rapièce dans un geste, une vibration qui parfait
une imitation de ce qui est qui est et de ce qui est de ce qui n’est plus."


Stéphane Bernard 
son blog, Une main est aussi un poing