mardi 20 décembre 2016

lundi 19 décembre 2016

mardi 29 novembre 2016

on n'en finit pas de jouer du scalpel
de tenter de crever l'abcès
qui enfle la gencive
on n'en finit pas de triturer charcuter
de tenter par la lame dans la chair malmenée
de comprendre enfin
peut-être
que le vers ne git pas
dans la langue
sous le palais
au bord de l'amygdale
qu'au dessous de la lèvre on finit par trouver
un mot infiniment petit un mot noyé
dans le flux de salive
que le moindre baiser s'attelle à avaler
on finit par saisir
qu'on écrit comme on mange
qu'on écrit comme on baise
gloutonnement
sans ponctuation
avec avidité
- ô cette peur du manque
(c) Kyle Thompson

t'écrire
trouver une image
une incisive
une qui pose sa blessure effilée
sur la joue ou le cœur
t'écrire
en route pour le dernier vers
jusqu’à ce que l'hexasyllabe se noie hors du poème
ce poème
celui que je t'écris
n'a rien à voir avec le cœur
le fruit sec collé là où feint mon sourire
n'a rien à faire sur ma joue non plus
ma belle joue de bœuf
épaisse comme l'orgueil
du pouvoir
te l'écrire
comme on dirait je t'aime
mentir un peu y croire quand même

dimanche 27 novembre 2016

j'écris avec la bouche, avec les yeux
avec les mains, macache
je ne fais rien
la droite, la gauche
ne servent à rien
j'écris un peu
je n'écris rien
sifflote, cocotte, un air du temps

pendant qu'autour de moi
des gens avancent
des politiques tracent
des poètes percent
des familles pleurent
je fais
je refais
du surplace
j'écris
un peu de poésie
chosettes en ligne
en vertical
j'y mets des hommes
j'y mets des femmes
des maux de couples
j'écris
gratte au milieu
des caroncules
et sur l'écran
du sang
des larmes
la morve un peu
j'écris
sur la pupille
insiste
je ne vois rien
l’œil bande
mou
j'écris

dimanche 13 novembre 2016

(c) source

écoute
fourre-toi ça dans l'oreille
la gauche, la droite, tu peux
me déshabiller, me rhabiller
montrer mes seins, mon cul
ma rate
poser un voile
pudique sur ma chair hachurée
vas-y, tu peux
décider, disposer, de mon corps, de ma tête
de ma bouche, de mes lettres
dis-le, écris-le, mon cerveau est à toi
tu le penses et le crois
tu sais mieux, tu sais plus
dans ton costume trois pièces
dans ton carnet de chèques
dans ton très grand bureau
et ta langue est habile
pour te mouiller le doigt
pour compter, recompter
les pages du livre, le fric
écoute-moi
fourre-toi ça dans les yeux
ma peau
ma lymphe
ma matière molle
tu sais, cette chair élastique
tu pourras la couper en tout petits morceaux
me pendre au bout d'une branche
exposer en sucette
publicitaire
ma raie et mes tétons
vas-y mon gars
vas-y, fais toi plaisir
passe le moindre de mes centimètres
à la moulinette
tu n'as rien d'autre à faire, tu auras beau y faire
je reste encore
encore
moi
syllabe unique
impossible
moi
arête tranchante
en travers de ta gorge

mercredi 9 novembre 2016

«Peut-être que la poésie est capable d’activer dans la langue ce que la vie aurait manqué dans le monde» 

Stéphane Bouquet, Le grand entretien, Diacritik, 8/11/16
[Aujourd'hui 9 novembre 2016, cette phrase résonne particulièrement]

dimanche 30 octobre 2016

Chapitres de la chute = saga des Lehman brothers de Stefano Massini

« Nous sommes comme une automobile
qui n’a pas de frein
-et vous le savez-
mais tout en le sachant, monsieur mon père,
vous poussez son moteur pour qu’elle monte plus haut
toujours plus haut
tout en haut de la montagne
seulement parce que le moteur est puissant
seulement parce que le moteur est un bolide
et qu’il résiste - et comment ! -
Il résiste parfaitement à l’effort…
Mais je vous demande :
Une fois arrivé là-haut
comment ferez-vous pour redescendre sans les freins ? »

Chapitres de la chute : saga des Lehman Brothers
 de Stefano Massini, L'Arche, 2013


***


Vu au TPN (Toulouse) la présentation du travail du groupe Théâtre -Création, mise en scène librement inspiré des Chapitres de la chute – Saga Lehman Brothers de Stefano Massino, de façon magistrale par Olivier Jeannelle - Quelques photos


Réecouter sur France Culture la pièce en 10 épisodes
l'épisode 1 pour la route ci-dessous

dimanche 18 septembre 2016

lundi 12 septembre 2016

Publication sur Les Cosaques des frontières


Un extrait

"le séisme ne fend pas la terre en deux
c’est ton corps
ton corps seul qui propage les déflagrations
tes angoisses coulent des fentes
quand tes mains peinent à suivre les fourmis
où poser ton regard aujourd’hui
si ce n’est dans le creux de l’arbre
le vide n’est pas rien
apaise


ta bouche
figée depuis la foudre dans un grand O
voilà une lettre qui promettait bien des choses
le plaisir clôturant la peau
dans le cerclage, la ligature des mots
quand tu te regardes dans le miroir
tu vois en ton reflet cette blessure nette
qui pose son ombre sur la page [...]"





samedi 10 septembre 2016

eh chien, écoute-moi
arrête de faire semblant
ouvre la gueule
crache un "e"
mets donc au féminin
l'ouragan et le feu
arrache-leur la boucle
impose-leur la fente
écris ta propre histoire
unique et violente
fais de la béance
le trou noir ta loi

(c) Sylvia Grav

le chien portait autour du cou des marques profondes d'attachement
le maitre portait sur les joues les traces violettes des morsures
et tous deux roulaient dans la terre rouge chaude
c'était à qui serait plus esclave que l'esclave
qui avalerait d'un coup
le vivant et la mort
qui deviendrait l'animal de l'autre
recommencerait dans des aboiements sourds
l'histoire circulaire
continue
qui les faisait glapir, gémir
qui les intimait dans la répétition
de jouir encore
et encore
des odeurs de charogne


(c) Sarolta Bán

vendredi 9 septembre 2016

me revient en mémoire
ce qualificatif de longue laisse
à propos de poèmes
déroulés sur la page
me reviennent en mémoire
les flux incontrôlés
vers après vers
pelure après pelure
mes boyaux dénudés
revenus en mémoire
l'espace de huit vers
la chose et son contraire
car que me dit le mot 
 coupé du dictionnaire
si ce n'est que j'écris
animal domestique
tous les mots en collier
si ce n'est que j'écris
comme un chien aboie
sa rage et sa colère
décuplées par le cuir
du silence des miens

samedi 27 août 2016


The Human condition, 1969 - Part 3 (c) Duane Michals

Parfois, tu portes ta chevelure rousse comme un casque
dans la rue, rien ne te touche
et les dagues coupantes qui fusent de leurs yeux
finissent métal mou dans le feu de ta bouche
plus le temps passe, moins cela marche
ta langue est inaudible, tes lèvres sont muettes
tu es seule, ils sont de plus en plus nombreux
quand tu arrives enfin à atteindre une porte
tu es totalement nue
crâne rasé

D’autres fois, tu poses un voile
sur tes branches de kératine pour avoir la paix
dans la rue, rien ne te touche
tu vaques, vagues, tes pensées secrètes confinées
mais plus le temps passe, moins cela marche
car il y a toujours d’un côté ou de l’autre
une accumulation oppressante de soies
des mots acérés comme des épées

Tu es seule, ils sont de plus en plus nombreux
les uns découpent ce que les autres cousent
que pourrais-tu dire les mâchoires couturées
l’un parle pour toi
l’autre sait à ta place
tu te tais


publication initiale sur Les Cosaques des Frontières

dimanche 14 août 2016

samedi 6 août 2016

Sur la table, fragment - lecture par Brigitte Celerier

 
Lecture d'extraits de Sur la table, éditions QazaQ, par Brigitte Celerier - je l'en remercie.

La Fusillade sur une plage d'Allemagne de Simon Diard (extrait)



"A SPLENDID TIME
PREMIÈRE PRISE : WERNER
1 – Le film de leur premier été à Cuxhaven.
Le visage d’Inge prend bien la lumière, pense Werner. Les garçons aussi : ils se pourchassent, un peu plus bas sur la plage, tout petits, serrés dans leurs maillots de bain, ils sont photogéniques, tu ne trouves pas, alors que le plus petit des enfants est pourchassé hors de l’eau, un peu plus haut sur le sable, Werner filme la séquence avec le camescope, on dirait que la lumière du soleil les rend plus scintillants et vifs.
2 – A splendid time is guaranteed for all.
1 – Werner filme la séquence puis revient sur Inge allongée sur sa serviette de plage. Les seins nus, une jambe repliée. Un bimoteur amorce une traversée du ciel. Les lunettes noires lui font des yeux indiscernables, se dit Werner. C’est si beau, non, de garder une marque. Une trace indélébile.
2 – Une série de photogrammes de Jon et Eckbert dans leur canot pneumatique.
1 – Une séquence où Eckbert et Jon se pourchassent sur le sable.
2 – Le corps d’Inge qui prend la lumière.
1 – Le ciel INTERNATIONAL KLEIN BLUE.
2 – Photogénique.
1 – La mer étale.
2 – Photosensible.
1 – La plage pleine de corps.
2 – Plus désirable encore en plan rapproché.
1 – A splendid time is guaranteed for all, pense Werner. Cette seconde est parfaite. Où que l’on regarde, tu ne trouves pas, imperfectible. C’est le calme absolu sur la mer étale comme au ciel. Des adolescents en bonne santé jouent au beach volley ou à la balle au prisonnier les cheveux dans les yeux. Tous en bermuda hawaïen. Les plus jeunes sont en slip de bain comme Jon et Eckbert et ils se jettent du sable ou creusent des fosses ou s’enterrent et pour une fois, pour une fois…
2 – Tout le monde a l’air heureux.
1 – Le bimoteur sort du cadre. C’est si beau, non, de garder une trace de tout ça. Les plus jeunes font des batailles d’eau ou de sable et les cerfs-volants virevoltent assez haut dans les airs ou descendent en piqué pour frôler les dunes. Les corps prennent la lumière en toute quiétude. Loin des violences. Loin des drames. Certaines femmes ont les seins nus et pour une fois…
2 – La beauté d’Inge est imperfectible.
1 – Werner revient sur elle allongée sur la serviette de plage. Les jambes croisées, une main sur le front. On dirait que ses yeux indiscernables fixent un point hors du monde. Une femme momentanément sans regard, se dit Werner.
2 – Au calme.
1 – Plan fixe.
2 – Retirée en elle-même.
1 – Plongée.
2 – Réconciliée.
1 – Contre-plongée.
2 – Les yeux coupés du monde.
1 – Caméra subjective.
2 – Sans défenses.
1 – D’une beauté provisoirement imperfectible.
2 – Indélébile.
1 – Cible des mouvements de caméra imaginaires de Werner.
2 – Inge en plan rapproché.
1 – En contre-plongée.
2 – En plongée.
1 – En plan fixe.
2 – Cette putain de seconde est parfaite.
1 – Tout comme la précédente, se dit Werner.
2 – Et celle qui va suivre.
3 – Sauf que.
A splendid time is not guaranteed for all.
2 – Ah.
Pause.
3 – Tout allait bien.
2 – Et ?
Pause.
3 – Tout allait bien.
Eckbert regardait Jon plonger et revenir en crawl. Comme une séquence vidéo montée en boucle. Jon se hisse ruisselant d’eau de mer dans le bateau gonflable et repique une tête. Jon se hisse ruisselant d’eau de mer et repique une tête. Ensuite, Eckbert panique. Jon ne revient pas. Eckbert regarde dans l’eau. Il voudrait alerter Inge qui prend un vrai bain de lumière assez haut sur le sable sec. Mais il est pétrifié, Eckbert. Il réfléchit. C’est comme une lumière trop vive qui le paralyse.
1 – Eckbert a sept ans et Jon en a onze.
3 – Il voudrait improviser un signal de détresse. Sauver Jon. D’où est-ce qu’elle sort, pense Eckbert, si vive ? Sauver Jon, c’est ce qu’il aimerait le plus au monde. Alerter Inge. Alerter Werner. Alerter n’importe qui sur la plage. Allumer la mèche et faire de son corps une fusée de détresse sifflante dans l’air.
1 – Mais il y a cette lumière trop vive pour lui.
3 – Comme une fusée aveuglante.
1 – Qui le prend avec elle dans sa fixité.
3 – Rassurante.
1 – Le tranquillise.
3 – Parce que la lumière cache une terreur si vive. La terreur que Jon ne reparaisse jamais. Il ne sait plus ce qu’il voudrait le plus au monde, Eckbert. Il réfléchit. Il réfléchit à ce qui se trouve sous la lumière.
1 – Non.
3 – Ne fais pas ça, Eckbert. Tu n’aimerais pas que les choses s’aggravent. Tu veux que tout aille bien, n’est-ce pas ? Il ne faut pas, Eckbert, p’tit bonhomme. Ne regarde pas sous la lumière.
1 – Voir leur terreur tue les petits garçons sur le coup, Eckbert.
3 – Reste à la surface, Eckbert, p’tit bonhomme.
Ne va pas voir sous la lumière.
Pause.
2 – Sauf que.
Noir."
 

En savoir plus sur Simon Diard sur Remue.net

vendredi 5 août 2016

un jour, tu ouvriras la bouche
quelqu'un t'arrachera la langue
quelqu'une peut-être, te la recoudra
il ou elle
s'appliquera à coups d'aiguille
à tout remettre en vrac
tu peux serrer les lèvres fort
un jour ou l'autre tu finiras
par ouvrir bouche, par perdre langue
ton muscle se tortillera vainement dans la main
de lui ou d'elle
visage fermé, lippe froncée
sa main ne tremblera pas
t'écrira à l'envers
ton histoire au palais
de mots épais
de phrases cimetières
tu ne saisiras rien les lèvres écartelées
puis bouche ouverte, bouche fermée
il ou elle
te baisera profond
et la bouche et le nez

respire      respire
retrouve souffle

respire      respire
le souffle court

obstinément
langue niée

mercredi 3 août 2016

Listen to me (1979) (c) Helena Almeida

"il faut continuer, je ne peux pas continuer, il faut continuer, je vais donc continuer, il faut dire des mots, tant qu’il y en a, il faut les dire, jusqu’à ce qu’ils me trouvent, jusqu’à ce qu’ils me disent, étrange peine, étrange faute, il faut continuer, c’est peut-être déjà fait, ils m’ont peut-être déjà dit, ils m’ont peut-être porté jusqu’au seuil de mon histoire, devant la porte qui s’ouvre sur mon histoire, ça m’étonnerait, si elle s’ouvre, ça va être moi, ça va être le silence, là où je suis, je ne sais pas, je ne le saurai jamais, dans le silence on ne sait pas, il faut continuer, je ne peux pas continuer, je vais continuer."

 Samuel Beckett, L’innommable, Les éditions de Minuit, 1953

mercredi 27 juillet 2016

dimanche 17 juillet 2016

Feu de tout bois (extrait)



"caresse

la dernière fois que les enfants ont vu grand-père
il ressemblait à un vieil arbre
allongé dans le lit
c'était une vision étrange
on devinait sous le drap les torsions de ses branches
son odeur de terre humide et le bruit des oiseaux
ça faisait de tout petits piou piou quand il ouvrait la bouche
les enfants intrigués par les battements d'ailes
collaient leur corps de lait contre mon corps de mots
nous savions tous les trois qu'il nous faudrait bientôt traverser la forêt
et ils n'avaient pas peur
et ils ne tremblaient pas
ils attendaient seulement le bon moment
pour poser leurs lèvres sur l'écorce"

 





















 10 € port offert,  à commander à : Association Nouveaux délits / Létou / 46330 St Cirq-Lapopie.
La revue Nouveaux Délits lance "Délits buissonniers", une collection de tirés à part pour des auteurs choisis ayant déjà été publiés dans la revue. Parution dans ce cadre de mon nouveau recueil Feu de tout bois avec des illustrations originales en n&b de Sophie Vissière.

mardi 28 juin 2016

(c) Bruno Legeai

J'aurais voulu de l'herbe rase ; toi, tu as insisté pour que nous semions de la prairie folle
dans notre jardin minuscule de trente mètres carré
souvent tu me demandes pourquoi je m'attarde sur des détails
pourquoi je ne lève pas davantage le regard
quelle peur me verrouille et m'empêche de saisir
à bras le corps
le monde infini
c'est que le monde, amour, est un jardin de trente mètres carré
nous y tournons à petits pas, cultivant l'illusion de vivre dans la forêt
trente mètres carré c'est peu, mais cela doit suffire
il y a ta peau, tes yeux par là, inondés de ciel bleu
que tu poses pour moi
rien que pour moi
entre les orties et nos frêles hortensias

dimanche 26 juin 2016

Dehors : recueil sans abri - extraits

Os de Clara Regy

sur son bras un tatouage
dégoulinant
un prénom raté
"comme une vie"
qu'il me dit

j'ai faim aussi
il bouche sa bouche
de vin mauvais
me caresse de la botte
mais je sais

nous puons tous les deux
pas de gêne
entre nous
sous sa couenne
sous ma peau
on sait comment c'était

j'aboie  pour le défendre
et il gueule plus fort
qui du chien
qui du mec rêve d'os

les passants
nous regardent
pareil(s)
ils disent
"pauvre chien"
ne sais plus
l'adjectif
pour qui

les grammaires
et les conjugaisons
ont avalé nos mots
qui ne remontent plus

j'aboie pour le défendre
et il gueule plus fort
qui du chien
qui du mec
qui de l'os

rêve
encore


***

Marcher si marcher de Rodrigue Lavallé

marcher si marcher
dehors     puisqu'il semble
sous le vieux jean sur la peau
sous le vieux pull sous la peau
dans     à travers    l'espace
entre jean & pull & la peau
ce qu'il en reste même
de croûtes & de laine serrées
laine & peau macérée
le vent passe    entre

le vent passe entre pull & la peau
ce qu'il en reste
& marcher
[...]

***

Papaclodo, encore de Roland Nadaus

[...]
Un soir
(qui était déjà matin)
rentrant d'une réunion militante
je te découvris ronflant
sur le palier de notre F2 sans eau chaude mais
derrière la porte palière
dormaient ma femme et notre
nouvelle née toi
tu ronflais
Tu avais bu plus qu'elles
et pas du lait
mais tu nous revenais
- j't'ai embrassé Tu as roté -

Et moi qui n'étais pas
ton fils génétique mais celui
auquel tu avais donné un nom
(mais cela je ne l'ai su que
disons très très tard)
et toi qui n'étais pas mon père
géniteur génitif
toi et moi
nous avons passé une nuit
épuisante d'amour à force de parler de se parler
    de parler
- Au matin mais au matin seulement
nous nous sommes embrassés -
[...]



Dehors : recueil sans abri, collectif, Éditions Janus, 2016
Les bénéfices sont reversés à ActionFroid

jeudi 23 juin 2016

Sur la table, éditions QazaQ

Mon recueil Sur la table est toujours disponible aux éditions QazaQ (en format epub ou pdf)
Des extraits à écouter ci-dessous

par Christophe Sanchez



par Luc Comeau Montasse



par moi-même

vendredi 17 juin 2016

Feu de tout bois - on en parle

La revue Nouveaux Délits lance "Délits buissonniers", une collection de tirés à part pour des auteurs choisis ayant déjà été publiés dans la revue. Parution dans ce cadre de Feu de tout bois  avec des illustrations originales en n&b de Sophie Vissière

Sanda Voïca en parle dans la revue Paysages écrits, n°28 - extrait :
"Dans ce recueil, Murièle Modély fait, encore une fois, en paraphrasant le titre, poème de tout bois. Chaque instant vécu devient poésie. Et quelle poésie : visions et épiphanies, sans cesse. Visions : « certains jours/la langue quitte la bouche/et se balade limace au-dessus de nos têtes » (cuisine). Vision apocalyptique dans voie basse. On pourrait même parler d’un livre des visions. Mais il y a des épiphanies aussi, et elles coïncident souvent avec les visions : le poème sommeil à citer en entier. Le quotidien, le passé (l’enfance) et le futur passés à la moulinette et réassemblés, avec quelques ingrédients : humour, voire dérision, lucidité, intelligence, maîtrise de la langue et dépassement du langage : «aujourd’hui, c’est la fête du couteau/c’est marqué en rouge à côté de la date/il y a la fête des mères, des pères/celle de la jupe, du voile/il y a aussi un jour/de l’amour/des morts/sans portable/sans voiture/sans électricité/la journée du lard ou du cochon/des seins/du saint des saints/des revendications, des recommandations/ de l’économie triomphante/du brame/des drames/des femmes/des hommes/(non, pas des hommes – question d’excroissance,/la case est trop petite)/vivre au fond/ n’est pas bien compliqué/il suffit de s’en tenir au mot du jour/composer décomposer, recomposer/une croix après l’autre/l’empilement des faits » (éphéméride) [...]"

Cathy Garcia en dit ceci :
"Ici Murièle Modély nous fait partager une forme de stupéfaction, nous fait voir à travers son regard un peu décalé..., aiguisé, perçant, son humour un peu noir et ici avec un amour fou, ses enfants qu'elle observe aller et venir, vivre, rire, questionner et l'engloutir. Poésie intimiste, poésie du quotidien qui prend chez Murièle quelque chose de quasi fantastique, organique, un peu terrifiant et on s'en régale, ça gicle, ça remue, du vivant sans retenue qui fait, oui, feu de tout bois."


Un extrait

"ils lancent leurs yeux sur moi
comme une lame

je sens leur rayon laser
leur récit fulgurant
jaillir

sous le derme
je sens remonter les picotements
l'emballement lyrique qui peine

à restituer d'un poème
le scintillement des étoiles
du trou noir de leur cornée"


Autres extraits sur Chemins battus de Morgan Riet
& sur Les portes de la perception de Murièle Camac





























 10 € port offert,  à commander à : Association Nouveaux délits / Létou / 46330 St Cirq-Lapopie








lundi 13 juin 2016

samedi 11 juin 2016

"Exister" de Grégoire Damon

"exister c'est vulgaire
s'exprimer c'est la dernière des beauferies
tu commences comme ça et puis tu lis les conseils sexo de Figaro Madame
et puis un jour tu te fais couper les cheveux sur un coup de tête
et ton chef de service se met à pleurer

si encore j'avais l'excuse de sortir d'un génocide
ou d'avoir un coquard sur l'œil
ou d'être très riche
ou très pauvre
(ô ma fille si tu veux percer en littérature
sois bonne et parle de la Shoah)

mais non
je suis là et c'était déjà comme ça quand je suis arrivé
peux pas dire que j'ai choisi non plus
mais quand on se lève chaque matin à six heures pour faire
quelque chose qui numériquement existe moins que
par exemple un premier ministre qui parle catalan
franchement
il faut avoir la foi"


Poème de Grégoire Damon extrait de son blog Peau de gueule

lundi 6 juin 2016

Mézin fête les écrivains - dimanche 12 juin 2016

Le 12 juin, lors du festival Mézin Fête les Ecrivains, l'occasion a été offerte de rencontrer et écouter les auteurs suivants : Anna de Sandre, Derek Münn, Nicolas Le Golvan, Laure Mézarigue, Suzanne Max, Astrid Waliszek et Dany Moreuil... J'ai pour ma part lu un texte au sommaire du premier numéro de la revue Incandescentes : "Visiter le paradis au moins une fois avant de crever" de Marlène Tissot.  Ça s'est passé aux Jardins Paysagers de Mézin (47) - crédits photo : Murièle Modély / Xavier de Bordeaux


dimanche 5 juin 2016

Zombie - extrait de Feu de tout bois


Zombie extrait de "Feu de tout bois" de Murièle Modély, illustrations de Sophie Vissière, collection Délits buissonniers n°1, juillet 2016. Autre extrait lu par . Commander le recueil à Association Nouveaux délits / Létou / 46330 St Cirq-Lapopie

samedi 28 mai 2016

(c) Ruben Brulat - Back on sulphuric acid pools, Danakil, 2015

"Nomme si tu peux  ton ombre, ta peur
et mesure-lui le tour de la tête,
le tour du monde et si tu peux,
prononce-le, le mot des catastrophes,
et si tu oses rompre ce silence
tissé de rires muets - si tu oses
sans complices casser la boule,
déchirer la trame,
tout seul, tout seul, et plante là tes yeux
et viens aveugle vers la nuit,
viens vers ta mort qui ne te voit pas,
seul si tu oses rompre la nuit
pavée de prunelles mortes,
sans complices si tu oses
seul venir nu vers la mère des morts -
dans le cœur de son cœur ta prunelle repose -
écoute-la t'appeler : mon enfant
écoute-la t'appeler par ton nom"

Il suffit d'un mot p. 61, Le Contre-Ciel, René Daumal, Poésie/Gallimard, 2013

mercredi 25 mai 2016

Moments - le blog de Bruno Legeai


L'adresse du blog : http://autredi.blogspot.fr/ - L'extrait : Dans les yeux



mercredi 18 mai 2016

Nouvelle revue littéraire : Incandescentes



Le premier numéro de la Revue Incandescentes, est paru en mai 2016. Editée par Double Vue Editeur, avec comme directrice de publication Marianne Desroziers, cette revue met à l'honneur une artiste, Sophie Brassart, et vous propose les textes de Sébastien Chagny, Anna de Sandre Christophe Esnault, Francine Charron (IL. Aymé(e) Pawlowski), Gabrielle Jarzynski, Sophie Jaussi, Anna Jouy, Nicolas Le Golvan, Claire Musiol, Marlene Tissot Cécile Vibarel Haddou et Astrid Waliszek
Prix : 5 euros (plus 2 euros de frais de port)
Bon de commande sur le site https://doublevueediteur.wordpress.com/


Un extrait pour la route :

"Cet enfant va naître. Je n'y peux plus rien. Poussée dans les limites de mon humanité. De ma pensée. Réduite à l'instinct.
La responsabilité me pèse surtout, le ventre aussi, mais moins, un ventre qui grossit pourtant, qui étouffe mes organes, mon ventre qui se vomit, un ventre ballon, un ventre œuf, un ventre qui me devient poule mais qui garde un poids humain, un poids physique, un poids que mon dos, mes hanches, mes genoux peuvent porter tout de même, pas comme celui de la responsabilité, responsabilité de l'autre, d'un autre, pas n'importe quel autre, je le sais
".

Extrait de "Laissez-nous douter en paix!" de Claire Musiol, publié dans Incandescentes numéro 1.

samedi 14 mai 2016

(c) Peter Martensen

Les jambes
pressent
galopent
menu menu
pas minuscules
freinés qu'on est
par la foule
compacte
devant
derrière

Les jambes
avancent
vite vite
n'entravent pas
le flux
lumières affiches
et pubs collées
sur l’œil et le
derrière

puis y a ce type
au bonnet sale
peau de velours
côtelé rides
visage gris
parcheminé

ce vioque
à patte folle
qui traîne sa caisse
à oxygène
dans sa charrette
qui grince roule
léger léger
sur morves

sur le quai
juste là
ça
bouscule heurte
râle ballotte
ralentit gêne
dégage coule
crève
(c) Peter Martensen

L'odeur

Il a toujours aimé être tiré à quatre épingles. Dès son plus jeune âge. Sa mère se rappelle combien il pouvait être insupportable le matin quand arrivait l’heure de l’habillage. Elle s’agaçait, le père haussait le ton, les frères râlaient… Philippe ne bronchait pas ; il supportait cris, coups, moqueries pour obtenir la chemise ou le pantalon.

Chez les Kovacs, la vie n’était que manque, d’argent, d’espace, de souffle. Le père travaillait pour nourrir la famille, la mère élevait les enfants, les enfants poussaient. Alors l’aspect extérieur, les vêtements.. « Conneries, disait le père, garder son boulot, nourrir les gosses, payer ses factures, ça, ça a du sens  ».

Il y avait quatre enfants. Quatre garçons, et peu de temps pour le superflu. Les vêtements, les jouets, les livres, tout devait servir successivement aux gosses. Être solide, durable. La mère avait même poussé l’esprit pratique jusqu’à maîtriser ses cycles. Elle avait mis au monde ses enfants tous les deux ans. « Pas de souci du coup pour la transmission des vêtements des aînés aux plus jeunes… ». 
Mais il y avait Philippe, le dernier. Obnubilé par son apparence. Au poids d'une existence morose et pénible, s’est ajoutée l’insolence de ses désirs. À l’adolescence évidemment, le fils et le père se sont heurtés puis ne se sont plus parlés. Jusqu’à la mort du vieux.

La mère n'avait jamais compris d’où venait la crispation de son fils sur les questions vestimentaires. Était-ce parce qu’il était le plus chétif et le moins beau des quatre ? Était-ce parce qu’elle l’avait trop couvé bébé ? Elle n’en savait rien. Mais ce petit être maladif qu’elle avait porté pendant neuf mois et couvert de baisers nourrisson, lui était devenu, les années passant, aussi étranger qu’un animal. Elle n'était pas de la même espèce.

Pourtant, la coquetterie de son fils, bien qu’elle s’en défende, l’avait toujours fascinée. Les plis de son pantalon par exemple, ils étaient toujours impeccables. Comment faisait-il ? Le soir après une journée d’école, de collège, de lycée, puis de travail, comment pouvait-il rentrer avec les plis aussi nets ? Ne s’asseyait-il donc pas ? Et quel était son secret pour avoir le menton si lisse ? Son père, lui, en fin de journée, avait toujours le menton rugueux…

Tu te rappelles, Philippe, des baisers rugueux de ton père ? Non, tu ne t’en souviens pas. Je suis bête aussi… vous ne vous embrassiez pas souvent. Évidemment, je te parle de ça… cela remonte à quand la dernière fois qu’on s’est vus ? Trois ans ? Dix ans ?!!! Alors, tu n’étais pas là à son enterrement… Quel dommage. Pour une fois j’avais fait attention à mon apparence, tu aurais été fier de moi. J’avais mis ce tailleur noir que tu m’avais envoyé pour un Noël… Bon évidemment j’avais un peu grossi. Mais j’avais rajouté une bande de tissu à l’arrière pour élargir le corps de la veste. Et pour que personne ne se rende compte de rien, j’avais mis cette étole bleue que ta tante Marguerite m’avait donnée... Ne fais pas la grimace… je t’assure, cela allait très bien avec le tailleur. Nathalie m’a rapporté que beaucoup de gens m’avaient trouvé élégante et digne. Personne n’a fait de remarques sur ton absence, tout le monde savait combien tu travaillais dur. Être responsable de milliers d’emplois, c’est quelque chose tout de même.

Philippe avait compensé sa nature malingre par le développement d’une volonté opiniâtre. Il avait voulu être le meilleur, il était devenu le plus ambitieux. Il avait voulu l’argent et le luxe, il avait aussi obtenu le pouvoir. Lorsqu’elle regarde dans les cahiers tous les articles de presse, qu’elle a rassemblé sur son ascension fulgurante, elle voit sur presque toutes les photos ce petit air hautain qui tient à distance le photographe, mais aussi les lecteurs des magazines people dont elle se régale. Il semble dire à tous : « Vous vous délectez de ma vie… épiez moi, photographiez moi, admirez ma réussite, enviez moi…jamais vous ne pénétrerez mon intimité ! ».

Et la montre qu'il porte sur cette photo par exemple, elle est sûre qu’elle vaut au moins son salaire d'un mois ! Mais lui l'arbore avec détachement. Avec classe. Il fait un signe à quelqu’un d'une main et attrape quelque chose de l'autre, La manche de la chemise est relevée, on aperçoit distinctement le bijou d’horlogerie... Qu’est-ce qu’elle est jolie cette montre !
Cette montre maintenant posée sur la table de chevet près des comprimés.

Elle ne sait pas où il a appris tout ça, le sens de l’harmonie, le souci du détail. Elle en est fière, même si elle sait qu’elle n’y est pour rien. Cela fait si longtemps qu’il est parti. Son assurance, il l’a acquise loin d’elle, loin d’eux. Au début de son installation à Paris, il l’avait un jour appelé pour lui demander de ne pas s'opposer aux démarches qu’il faisait : il voulait modifier l'orthographe de son nom. C’était il y a si longtemps… aujourd’hui, prendrait-il la peine de l’en avertir ? Elle sait bien que non.

Et puis il y avait l'odeur. Philippe sentait toujours bon après une journée d’école. Les rares fois où elle l’avait revu adulte, c’était la même chose : il ne sentait pas la sueur comme son père.

C'est vrai que ton père était un manuel, il était sur les chantiers toute la journée, et toi tu travailles dans un bureau climatisé. Mais tout de même, tu bouges, tu sors déjeuner, tu as des rendez-vous à l’extérieur… et même maintenant que la maladie te cloue au lit, que son odeur pénètre peu à peu tes chairs… même maintenant, tu ne sens pas comme lui les derniers mois de sa vie.

Plus de trente ans après, elle éprouve une joie enfantine à retrouver son odeur. Bien sûr, ce n’est plus la même que dans son souvenir. Quand elle pensait à Philippe avant leurs retrouvailles inattendues, c’était l’odeur de lait caillé qui lui revenait en mémoire… Pas cette odeur mâle qu’elle découvre et apprivoise.
Quand elle avait appris sa maladie dans le journal, elle avait tout abandonné pour être près de lui. Elle avait laissé son chat, son appartement minuscule, et avait pris le train, seule, jusqu'à Paris.

Seule une mère peut faire ça, non, tu ne crois pas Philippe ?

Quand elle s'était présentée, la femme de Philippe l’avait regardé de haut en bas en faisant la grimace. Elle n’avait jamais entendu parler de sa belle-mère. Ils s’étaient mariés à l’étranger : personne de la famille de son mari n’avait assisté à la noce. Catherine était une grande bourgeoise. Alors forcément la mère faisait tache dans son immense salon épuré. La mère l'avait évoqué d’ailleurs le premier jour de leur rencontre : « Ça manque de meubles ici ». Catherine avait haussé le sourcil, mais n’avait rien répondu. Elles ne se comprenaient pas.

Ta femme ne m’aime pas, tu sais. Je ne la vois quasiment jamais, elle m’évite.
Mais même si je l’agace, elle pourrait au moins s’occuper de toi ! Ou faire semblant. Elle est tout le temps dehors, à faire les boutiques ou je ne sais quoi… Mon pauvre fils, tu n’as vraiment pas tiré le bon numéro… non, non, ne proteste pas, une femme qui n’a pas pu te faire d’enfant, pourrait au moins être près de toi dans cette épreuve. Maintenant que tu es malade, elle doit compter les heures avant la fortune…Pardon, pardon, Philippe, c’est une horrible chose que je viens de dire, tu vas guérir. Je suis là. Maman est là…

Quand elle parle de choses et d’autres, du passé, de sa vie, elle sent qu'il s’agite, qu'il cherche à communiquer, mais il ne parle pratiquement plus. Le crabe qui fait son œuvre et grignote le corps de son enfant, le rend mutique.

La chambre a une drôle d’odeur maintenant. Fade, aigre, mélange de médicaments et de sueur. Mais elle s’y est faite sans problème. Les raisons que Catherine lui a données pour justifier son absence ne sont pas recevables. Elle ne croit pas une seconde à ce qu’elle lui a dit : sa peur de la mort, sa peur de voir son mari s’éteindre, et elle impuissante… Si Catherine aimait vraiment Philippe, elle serait là, à sa place, à lui éponger le front, à lui parler, à lui montrer qu’il est encore vivant.

Philippe essaie de se redresser. Elle l’aide, passe son bras sous ses épaules, en le tirant vers elle. Un filet de voix trace sa route jusqu'à son oreille. Elle a un frisson. Le souffle de son fils caresse sa poitrine.

« Fous…moi… la paix ». Il répète : « Tais...toi… fous…moi… la paix »
Elle le lâche brutalement, le regarde stupéfaite. Ses joues sont brûlantes, ses mains tremblent. Elle n’a pas rêvé les mots de Philippe. Elle le dévisage, longtemps, et finit par murmurer d'une voix froide :

Ne me rejette pas Philippe, ma vie a été triste et sans joie. J’ai tout fait, tout eu, tout vécu « petit » : une petite vie, un petit couple, de petits plaisirs. Sauf ta réussite. J’y ai un peu droit moi aussi… Maintenant que tu es seul, cela devrait t'être égal que ta vieille mère ne sache pas se tenir, te fasse honte, te gêne…Tu vas crever Philippe. Et tu es tout seul, ta femme n’est pas là, tu n’as pas d’amis. Tu sens la mort et il n’y a que moi. Moi qui suis là comme au premier jour à te torcher le cul, à supporter l’odeur de pus qui envahit ton corps, à regarder la mort te bouffer les chairs… à endurer tes râles et le contact de ta peau, de tes os. C’est moi au final qui te maintiens en vie Philippe, avec ces mots que tu détestes. Et c’est moi aussi la dernière personne que tu verras avant le grand saut. Tu sens déjà le cadavre. Je suis ta dernière illusion de vie.
 Alors supporte ta mère : endure la laideur, l'étroitesse d'esprit, la petitesse. Je l’ai bien fait.

dimanche 8 mai 2016

jeudi 28 avril 2016

mercredi 27 avril 2016

L'odeur

Je ne sais pas pourquoi je passe par là le matin avant d'aller bosser.
Je fais toujours un crochet par la Grand Place alors qu'il serait plus simple de couper par la rue de la Petite vitesse... Je sais que l'hypercentre n'est pas pour moi. Cela saute aux yeux quand je passe devant les cafés sous les arcades : tous les clients attablés en terrasse m'observent d'un air méfiant. Normal. Mon corps est lourd, ma démarche poussive, mon bleu crasseux ; je tremble et  trébuche inévitablement, comme plombé d'une ivresse qui n'aurait rien de gaie.

Il est huit heures. La place est calme, propre. Léchée comme une photographie de magazine. Rien ne dépasse, seule ma silhouette massive brouille le décor immaculé.
« Peut-être que je passe par la Grand Place à cause du « e » manquant, me dis-je intérieurement. C'est con hein quand même, la faute d'orthographe chez les bourgeois, ça fait désordre ». Je me mens,  il n'y a pas de bourgeois, juste une odeur de fric qui lisse le panorama. Je passe par là, parce que je crève d'envie moi aussi, comme tous les autres, de sentir ça.

Ce matin encore, une envie de renverser les tables, de bourrer de coups les visages placides des garçons de café me démange. Mais évidemment je ne fais rien. Je passe. Sans broncher. En vacillant légèrement comme d'habitude de gauche à droite.

Juste devant moi, il y a un homme, blond, bien habillé. Je n'ai pas besoin de voir son visage pour deviner combien tout en lui est parfait ; ses fringues et sa démarche me le disent. Il avance tranquillement, avec à ses côtés une jeune fille, blonde elle aussi, reproduction miniature de ce qu'il est, un mini lui en somme.
Je n'ai pas besoin de me rapprocher plus pour savoir qu'ils sentent tous les deux bon, que leur peau est impeccable, comme leur vie est impeccable, à la mesure des vêtements qu'ils portent, impeccables eux aussi. Ils marchent d'un pas égal, ils n'ont aucune raison de se presser.


Je ne remarque pas de suite le détail qui fait grincer la machine, les cheveux de la fille qui se balancent bizarrement sur ses épaules. Je ne réalise la présence de ce petit accroc dans le paysage, qu'au moment où l'homme pousse brutalement la fille, d'un coup de poing dans l'ombre d'une porte cochère.

Tout se passe très vite : il lui assène d'une main, sans doute moins caleuse que la mienne, une gifle phénoménale. Les cheveux de la fille volent, elle tente de protéger son visage de la seconde claque, il la gifle à nouveau. Et la scène se déroule sans un bruit. Ni de l'un, ni de l'autre.

Quand ils ressortent quelques secondes à peine après, mon regard croise leurs regards, vides. Les joues de la fille sont écarlates mais ses yeux n'expriment aucun sentiment particulier. On dirait que rien ne s'est passé. Si je n'avais pas assisté à la brève correction, je n'aurais même pas remarqué le pas un peu plus vif de la gosse, son effort maîtrisé pour se tenir à la hauteur de l'homme.

Je passe par la Grand Place parce que j'ai toujours cru qu'ici régnait l'ordre total, que le seul élément discordant qu'on pouvait relever dans cette putain de place de l'hôtel de ville était ce « e » manquant sur la plaque du mur. Je pensais que le désordre à cet endroit précis de la ville n'était qu'une question de vocabulaire.

Et je me rends compte pour la première fois que cette odeur que j'envie, qui me semble contenir tout le bonheur du monde, n'est en réalité qu'un miasme étouffé. Je le vois devant moi dégoutter des corps de la fille et de l'homme, se tenant harmonieusement l'un près de l'autre comme si de rien n'était.
(c) Cath Riley

mardi 26 avril 2016

"Il ne se passe pas grand-chose
des dos, des hanches
des tee-shirts étroits
des nuques
des brins de cheveux
tout ça
avalés d'un trait
les liquides simulant
sur tes lèvres des baisers

c'est l'happy hour
ton regard furète
cherche
jette son crochet
sur des cils battants
ton bock de bière
descend
dessine
un nouveau sourire
un nouveau nouveau moi

plus drôle
plus d'ambre
plus amble
une fille
cheveux frisés
& regard noir
dans le miroir
ton reflet cisaillé

quelque chose se fend
tu coules
ris
sur l'inox renoues
la fois passée
à aujourd'hui


                    il ne se passe rien
                    tout peut arriver"



"Sur la table", extraits lus par Luc Comeau Montasse



Sur la table, éditions QazaQ, 2016 recueil numérique toujours disponible

jeudi 14 avril 2016

close distance (c) Anders Petersen

il y a tant de violence tant de rage dans la boîte
que je remercie mille fois sa main sèche et rugueuse
d'avoir posé le couvercle sur ma bouche mille fois
merci d'avoir caché la clé entre elle et moi
il y a un secret une douleur sourde
un volcan égaré
de tout petits séismes qui nous jettent
dans les feux d'hystérie
les larmes sont des rivières
les sanglots des cascades
et ni elle et ni moi
ne coulons
au fond de l'eau
il y a la pression
insistante brûlante sur les poumons
quand elle tait je sais
dans les soubresauts qui m'agitent
combien je suis vivante

mercredi 13 avril 2016

(c) Mary Ellen Mark (1940-2015)

le temps passe aujourd'hui il n'est plus nécessaire
d'user d'abuser de cris de gifles de mises au coin
tu ne m'appelleras plus
mon petit lapin ma belle ma fille
n'offriras à mes désirs de varappe
aucune voie
possible aucune voix
tu ne m'appelleras
plus
pas
je resterai là
au pied de la montagne
prise de vertiges
à mon tour d'être exclue
du bonheur
inatteignable en haut du pic
je le sais l'ai toujours su
quand le comprendras-tu ?


/


ce n'est pas grave
ce n'est pas triste
ne me regarde pas avec cet air chagrin
combien d'entre nous avant nous
ont connu la morsure
l'arrachement de la langue un matin
le froid sans doute l'hiver
qui s'en souvient ?
déjà le souffle court
le mot qui manque mais quand même
quand même une main
pour guider nos pas dans le petit jour

(c) Ricco Wassmer

je lance le caillou
dans le trou
j'attends
longtemps très longtemps
le bruit du ricochet
le tremblement de la flaque au creux du ventre
je sens
profond profondément
les cercles concentriques
les remous me tordre les boyaux
je ne dis rien
ma bouche est un tombeau
silence que tes mots les mots fabriquent

mardi 12 avril 2016

Childhood (c) Robin Cracknell

le caillou est un nævus aux côtes incertaines et floues
une île tatouée grossièrement à même la langue
un espace où je n'en finis pas
d'avaler le fracas
les rouleaux
de la mer
le claquement de muscle qui éloigne
toujours plus loin sur la grève
Childhood (c) Robin Cracknell

sur la langue on m'en a fait
on m'en a mis des choses
un caillou une hostie une larme
un coup de fourchette
un sucre trempé d'alcool
une morsure jusqu'au sang
tes mots des mots
derrière mes lèvres
rien ne bouge
pas de saillie pas de verbe
le muscle gourd dans un nid d'eau

En el tren (c) Jesus Tejeval

tu me dis
chut
tais-toi
ne parle pas
et depuis le caillou
sur la langue
pèse de tout son poids
on me regarde on me parle on me dit
quelque chose
au fond
de la gorge
ne bouge pas
Silence
est mon nom
est un non
comme un autre

mercredi 6 avril 2016