dimanche 19 février 2017

elle dit je suis heureuse de ne plus me soucier de vous
sa bouche laisse tomber sur la nappe des pierres
de toutes les formes
de toutes les tailles
des rocs épais comme des spasmes
dont elles s'échinent à discerner
les contours entre les quatre coins de la table
et la plus jeune pose ses mains sur ses genoux
où les rocs ont laissé de profondes entailles
l'aînée appuie ses deux mains contre ses seins
pour atténuer un peu le choc des cailloux
toutes deux regardent en tremblant
tout en en haut de la montagne
à travers les roseaux
le trou
immense et insondable
laissé par leur éboulement

samedi 18 février 2017

il dit la fin du monde est proche
et je regarde sa bouche
poser sur ma joue
la proximité de la fin 
d'un monde
notre planète ronde dans le jet de salive
au coin de ma bouche étirée ma pommette
la terre en miettes dans un sourire 
et sombre ma joue
il dit redit sa bouche appuyée 
et son corps et ses mains
pour que j'entende bien
de ma bouche la fin
est proche
comme le mot humide ce trou
au milieu du visage la fin
entends-tu que s'arrête
pas seulement l'histoire
la notre 
que ma bouche refuse
ma bouche et mes oreilles
dans la grimace du monde
est proche
la fin
d'un mot

jeudi 16 février 2017

elle dit  je vous salue Marie
on ne sait pas à qui elle parle
qui est cette Marie
et ce qu'elle a à voir
avec nos corps transis
debout devant la table
attendant sans broncher
que Marie lui réponde
qu'elle fasse un signe, bordel
qu'on puisse enfin s'asseoir
ou au moins relâcher
nos corps raides, tenus
par son regard de glace
elle dit vous êtes pleine de grâce
et on louche par en dessous
sur le brouet graisseux
au milieu de la table
nos bouches déformées
par le jus de prière
par la faim qui tenaille
nos corps d'adolescentes
et on fait pénitence, on fait
tout ce qu'elle veut
Marie
Dieu et le reste
qu'on mange
tant que l'on peut

lundi 13 février 2017

Publication sur Urtica Lit Blog


Publication d'un court récit Les lèvres de ma mère chez Urtica Lit Blog, nouveau blog littéraire de Walter Ruhlmann. Un extrait pour la route :

"Lorsque j'étais petite, nous allions manger chez mes tantes le dimanche. C'était la belle époque pour ma mère, ça buvait sec, ça fumait tout autant. Entre le café et le digeo, maman racontait immanquablement à ses sœurs captivées, comment ma grosse tête oblongue avait déchiré son con. Elle disait ça en me couvant d'un regard plein d'amour, le genre de regard glaireux qui poisse et vous cloue. Je restais silencieuse. J'écoutais pour la énième fois le long passage, revivais le glissement interminable dans son vagin. Les tantes s'enivraient de paroles, elles n'avaient pas d'enfant.



J'imaginais leur bassin tout sec s'agiter la nuit, je les imaginais se remémorer, filet de salive sur oreiller mou, les lèvres rouges de maman se déformant sous l'articulation du mot sexe. Le mot. J'aimais le répéter, le tordre. Ma mère m'a donné ça aussi. Avec l'obsession de son corps, le jouir des mots. Mon enfance a été bercée du récit maintes fois réinventé de l'expulsion de mon corps hors de son ventre, de la dilatation jusqu'au point de rupture de ses pauvres huit centimètres de chair sous mes cinquante vagissant et rougeauds.

 Le début et la fin sur Urtica Lit Blogdonc 



jeudi 2 février 2017

mercredi 1 février 2017

Various ways of avoiding visual contact with the outside world using yellow isolating tape - 1998 (c) Michaël Borremans

le séisme ne fend pas la terre en deux
c’est ton corps
et ton corps seul qui propage les déflagrations
tes angoisses coulent des fentes
quand tes mains peinent à suivre les fourmis
où poser ton regard aujourd’hui
si ce n’est au creux de l’arbre
le vide n’est pas rien
apaise

*

ta bouche
figée depuis la foudre dans un grand O
voilà une lettre qui promettait bien des choses
le plaisir clôturant la peau
dans le cerclage, la ligature des mots
quand tu te regardes dans le miroir
tu vois en ton reflet cette blessure nette
qui pose son ombre sur la page

*

les coups de feu t’ont fourragé l’oreille
tu n’as pas entendu la mort, tu as senti
l’odeur brève, puissante
du sang
tu as senti
sous la toile de ta robe, au niveau du pubis
l’écoulement de la matière

*

la décomposition annoncée d’une époque
dans la poussée organique des phrases
voilà ce qui a pendant des jours
et des jours
arrosé la planète
et toujours le O de ta bouche mutique
qui flotte pendant que montent les eaux

*

combien sommes nous maintenant sur la grève
totalement tétanisés par le grondement sourd
des paroles qui s’emballent
le silence se profile dans la seconde vague
elle balaiera tout

*

la catastrophe fera table rase
te laissera nue
sur la plage
 tu devras réapprendre
– ne l’avons nous pas fait ?
à faire sourdre du O
gémissement sauvage
un nouvel alphabet


publication initiale sur Les cosaques des Frontières