lundi 27 novembre 2017

Bouche pleine

tu es assise à table, à faire tourner entre ton pouce et ton index
une coupe remplie d'alcool, disons... du champagne
à laper, tu te reprends, à siroter quelques gorgées, entre deux rires et un regard

/

soudain tu te mets à tousser en postillons serrés, le rêve démesuré
tu bois une bière dans un bock, assise à la table écaillée
pendant que lui regarde dans l'autre pièce, un truc ou l'autre à la télé

/

tu tousses, mais ce n'est pas la bière ou la peur qu'il te voit
à cette heure déjà en train de picoler, qui te fait crachoter
la télé est à fond, il ne t'entend jamais

/

tu bois vite, tu manges vite, tu vis vite, faut faire passer tout ça
lui ou un autre, tu avales, tousses, t'étouffes
ton rêve comme une arête coincée en travers de la gorge

/

faut faire passer tout ça...
t'avais dit ça aussi quand elle avait pris l'aiguille à tricoter
t'avais dit ça tout pareil sans majuscule ni point d'exclamation
l'aiguille à tricoter en métal blanc

/

l'envie de tricoter t'est d'ailleurs passé d'un coup
quand ton regard se pose maintenant
sur la pelote dans le panier
c'est bizarre, tu penses à un crâne réduit en miettes
les fils de laine en boule, comme du tissu cérébral, emmêlés

/

de toute façon, le tricot c'était pour faire plaisir à ta mère
le genre de truc, penses-tu, qui plaît aux hommes, avec les turlutes
le rouge te monte aux joues, parce que ce mot tu ne le dis jamais, ta mère si

/

ton assiette est rouge, tu pensais que peut-être
la couleur passerait avec la mousse
tu as beau picoler, toujours le rouge  devant toi
les spaghettis figent dans la sauce grasse
il est neuf heures, tu n'as pas faim

/

l'assiette te donne des hauts le cœur, il ne dit rien
- il ne dit jamais rien
il n'a rien dit la veille, quand tu t'es soudain arrêtée de manger
quelque chose coincé dans l’œsophage
il a juste frappé la table très fort
du plat de la main

/

alors tu avais mis l'assiette au frigo, sans rien dire toi non plus
parce que c'est toujours pareil, tu ne peux t'empêcher de faire tout de travers
non contente de vivre aux crochets de la société, de ta mère, des hommes
tu ne peux t'empêcher de te faire remarquer

/

le ventre
la bouche pleine
l'aiguille à tricoter
tout ce que tu avales
tu le recraches

/

ce matin, tu as ressorti l'assiette
car tu ne peux pas passer ta vie à gaspiller
tout ce qu'on s'échine à te donner

/

ce matin, tu regardes l'assiette
au milieu de tes rêves qui hoquètent
tu avales des bières, l'estomac au bord
tout au bord des lèvres
en chipotant encore
les restes du repas d'hier

2012 (republication)

lundi 20 novembre 2017

tu écris des poèmes

tu écris des poèmes
tu précises
tu n'écris que des poèmes
après avoir perdu des années
à tirer le récit par les cheveux
tu décides
un jour
d'écrire
du coq à l'âne
d'évider sur le billot sans queue ni tête
sans bouche ni main
ton ventre
d'y secouer les mots dans tous les sens
à bride abattue
jusqu'à respirer sur la table
l'odeur de langue coupée


extrait de "tu écris des poèmes" (à paraître)
lecture de passages du recueil à la ZAL le 18 novembre prochain à Montpellier


La ZAL - édition 2017


Laurent Bouisset, Pierre Tilman, myself / Photos d'Isabelle Bonat-Luciani (pour Laurent Bouisset) et de Celle qui Dit (Pierre Tilman & moi)

C'était la ZAL 2017, avec entre autres Laurent Bouisset, Pierre Tilman, Jean Azarel, Remi Chechetto, Natyot (que je n'ai malheureusement pas entendu), Tristan Félix...
Un grand merci à toute l'équipe et tout particulierement à Stéphane et Renaud Vischi.

vendredi 17 novembre 2017

Tu écris des poèmes - on en parle

Note de lecture sur Tu écris des poèmes par l'auteure Marianne Desroziers

"Murièle Modély s'interroge sur l'activité d'écrire et sur la spécificité de l'écriture poétique en passant par le tu : choix pertinent, tant il est vrai qu'il faut parfois savoir se dédoubler pour mieux s'adresser à l'Autre (et à soi-même). Cette exploration de l'activité d'écrire des poèmes et cette quête de l'identité du poète se font une certaine dose d'auto-dérision et comme toujours – c'est sûrement ce que j'apprécie le plus chez elle – beaucoup de sensualité. Car dans les textes de Murièle Modély, le corps est omniprésent, il déborde de toute part : il jaillit, il exulte, il jouit... et, au milieu de tout ça, avant, pendant, après, il écrit.[...]"
 Lire l'article complet

Note de lecture sur Tu écris des poèmes par la poétesse Murièle Camac

"[...]« Tu », dans le livre, c’est « je » – cette fameuse je « autre », celle qui écrit des poèmes, justement. « Tu » est peut-être le meilleur de « je » : une je « obligé[e] d’inventer » pour exister, obligé de se dédoubler (« un peu de noir sur beaucoup de blanc ») et même de se démultiplier, de se décomposer – parties du corps, meuble, île, clavier d’ordinateur. C’est ce dédoublement répété et créateur que la première partie du recueil explore. Corps organique et corps textué dialoguent à tu et à toi. Entre vacillement au bord « du gouffre sous tes pieds » et sensation « que le mystère d’être / sur le poing du poème / est à portée de main », entre « je » absentée et « tu » prétextée, quelque chose prend place : le poème.[...]"

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Retour de lecture sur "Tu écris des poèmes" par Cathy Garcia :

« Tu écris des poèmes », écrit l’auteur, s’adressant à elle-même en usant de ce tu, ce tu qui résonne comme une affirmation ou une accusation, une violence ; aussi bien un silence épais qui vient boucher la sortie des mots qu’un débordement de mots pour recouvrir le silence. Le volcan revient souvent dans l’écriture de Murièle Modély, on pense bien-sûr à l’ile de la Réunion, un volcan peut-être « vibrant et lumineux comme le mot racine/dissimulé dans ta première dent de lait ». Volcan métaphore aussi de ce qui couve dans les entrailles, sous la croûte du quotidien, ce qui brûle et déborde par la moindre fissure, tantôt montagne solide, muette et impassible, tantôt menace d’explosion quand le solide pris de fièvre intense se fait liquide, salive, sueur, sperme, cyprine, alors tout tremble et les mots dévalent « dans tous les sens/à bride abattue/jusqu’à respirer sur la table/l’odeur de langue coupée. [...] »

Lire la suite sur son blog ici


Dominique Boudou en parle aussi sur son blog:

"Murièle Modély, en évoquant l'île de la Réunion où elle est née, pourrait reprendre le célèbre mot de Kafka à propos de Prague : " Cette petite mère a des griffes." Dans Tu écris des poèmes, son sixième recueil publié, l'auteure de Penser maillée questionne de nouveau l'acte d'écrire. Et l'île grandit avec le poème dont la langue résiste au plus profond des plis du corps. " tes poèmes sont / n'importe quelle partie de ton corps / n'importe laquelle / une jambe / un rein / un os / n'importe laquelle / sauf la tête. [...]"

Lire la suite sur son blog ici


Commander le livre sur le site de l'éditeur : http://bit.ly/2munPnZ

mercredi 15 novembre 2017

Parution

Parution de "Tu écris des poèmes" aux Editions du Cygne.
En savoir + & commander, suivez le lien http://bit.ly/2munPnZ

Je lirai des extraits du recueil samedi 18  novembre vers 16h40
à Montpellier pendant la manifestation littéraire
de la Zone d'Autonomie Littéraire



dimanche 5 novembre 2017

Parfois la phrase te fait le même effet
que la parole vide d'un homme politique
répétée en boucle sur les réseaux sociaux
la phrase comme un grelot 
un crissement d'ongle sur un tableau
parfois la phrase
t'irrite
t'agresse
te donne envie d'être une plante verte sur le rebord de la fenêtre
la traînée brillante d'une limace sur la poubelle
d'être une mouche, son piquetis noir sur la vitre sale
d'être le crépi sur le mur
la table froide sous la main
de n'être qu'une chose
inerte mais vivante

samedi 4 novembre 2017