mercredi 11 décembre 2019

Le type à la tête en pain de sucre

Y avait un type à la tête en pain de sucre dans le métro
une tête en pain de sucre moulé dans un bonnet kaki
et sa tête en pain de sucre fondait doucement
le long de ses joues
dans les plis de son cou
de longues coulures couleur de cérumen
et une petite fille à la coiffure afro répétait en boucle
en tirant la manche de sa mère
« y a le monsieur qui pleure » « y a le monsieur qui pleure »
et ses mots tombaient, en boucle aussi, sur ses genoux
comme de grosses pierres brillantes
je la regardais par en dessous
j’avais peur que ce soit la fille du conte
et que les pierres se transforment soudain hors de sa bouche
en d’affreux serpents siffleurs
tout gluants
tout visqueux
et qu’ils se faufilent partout
par tous les trous
j’aurais dû faire comme les autres dans le métro
m’arracher les yeux et tenter de les introduire du bout de l’ongle
dans la rainure entre l’écran et la coque de mon téléphone
seulement voilà, je me doutais bien en regardant tous ces trous noirs à la place des yeux qui tournoyaient comme des planètes mortes au fond de l’espace
qu’il m’aurait été bien difficile de planquer quoi que ce soit dans le répertoire de mon téléphone
et qu’une fois mes yeux arrachés, ils se faufileraient
tout gluants
tout visqueux
loin du reste de mon corps qui pirouetterait comme un poulet sans tête entre ici et nulle part
alors je regardais
la petite fille à la coiffure afro qui regardait
le type à la tête en pain de sucre qui regardait
essayer de toutes nos forces de soustraire nos six yeux à l’appel des trous noirs
elle avec ses mots comme des pierres précieuses
moi avec mes yeux tout gluants tout visqueux dans mes orbites
lui avec sa tête en pain de sucre dans son bonnet kaki semer dans le métro des larmes
à l’odeur de caramel

publication initiale dans la revue la Terrasse n°4- décembre 2018

samedi 7 décembre 2019

Tableau de Dino Valls

"Je n'ai souvent qu'une phrase...", poème de Anna Jouy

"je n’ai souvent qu’une phrase de poète pour que le songe enfonce la porte du vide
ce sont des lampes torches, des missiles de soleil
et la nuit est fendue
une phrase pour avouer que j’aime vivre
et que toutes les morts fondent comme des épées glacées à l’auvent des fenêtres
une seule phrase, mon dieu !où lancent-ils le crochet, la mouche et le moulin pour que je remonte des noyades
et respire le ciel"

Tableau de Dino Valls, Limbus, Huile sur bois, 63 x 60 cm, 2009