jeudi 28 février 2013

[']

il pense au mot
ambiguïté
quand sa main s'arrête
à quelques centimètres
de son visage
quand son regard
brutalement stoppe
à quelques millimètres
de sa paume

il ne sait pas pourquoi elle
elle ne sait pas pourquoi il

comme ça
soudain
une vie équivoque
en suspension
dans l'air

il suppose, dans l'instant bref de leurs gestes suspendus,
que l'un ou l'autre, quand même, va oser l'apostrophe,
tenter de conjurer, mains et regard rompus, l’ambiguïté
des signes


mercredi 27 février 2013

self - Pierre Beteille

langue - Perrine Le Querrec

"j'entrouvre mes lèvres
je me balbutie
j'enfonce mes doigts
un à un les retire
je perce des trous tire
la langue
j'attends que
ça sorte"

"langue", in L'entresort, Perrine Le Querrec

A, B, C... P O P U P




ABC3D de Marion Bataille, Albin Michel, 2008

mardi 26 février 2013

A la lettre (extrait)

(Souvent
je me demande
si je n’ai pas un problème
d’audition)

il dit

c’est d’ta faute
m’r’garde pas
baiss’ les yeux 
t’as compris crevure
m’tiens pas tête comm’ça

(bizarre, plus il parle
moins je comprends)

ton air d’goss’ battu
kess’ça change
t’entends merdeuse
kess’ ça change qu’tu r’grettes

(bizarre, je pense
ces apostrophes)
c’ta faute !
TA FAUTE, t’entends !
l’ chtiot est mort

(non, j’entends pas) je vois
les postillons gicler
au-dessus de nos têtes
comme des larmes

des gouttes lettres
suspendues dans l’air
comme des la’mes


(bizarre la chute, je pense
mais je laisse l’apostrophe flotter
pour que ça fasse moins mal)

extrait de A la lettre, Mi(ni)crobe 38
lire d'autres extraits , et

mercredi 20 février 2013

[?]

Ce tremblement
Cet arrêt
Cette légère palpitation

mon (ton) incertitude suspendue
à ce point d'interrogation

[( )]

on n'est pas obligé d'aimer pour  rester ensemble

mais b(i)aiser
mais s(')ex(cuser)
ça compte quand même

pourquoi tu ris ?

(tu te trouves très maligne avec tes espaces et tes parenthèses)

[/]

Ai-je jamais été honnête avec toi ?
je ne sais pas / peut-être / peut-être pas

je biaise
 
un i égaré dans le mot
voilà ce qui nous tient
toi /et / moi

ready to swim (2012) - hsiao ron cheng

Par où fuient les oiseaux....

"En règle générale, je ne poursuis pas mes inscriptions le doigt sur la plume. Presque toujours, elles s'offrent à moi qui les note sans retouche.
Leurs façons me font songer à un colombier, qui serait mon esprit, ménagé tout en haut de la maison, sous les combles, sans porte qui permette d'y entrer de l'intérieur et même sans échelle pour y conduire.
Les pigeons y vivant sortent par des ouvertures pratiquées dans le toit et, pendant qu'ils se pavanent dans la gouttière ou sur la pente, mes grands bras les saisissent, les empaillent et, souvent sans lisser leurs plumes, les rangent dans l'armoire : mon carnet.
Ces pigeons ne s'envolent jamais. Parfois, mes grands bras occupés ailleurs ou trop lents, il arrive que les oiseaux leur échappent, rentrent au colombier. Plus tard, je suis bien assuré qu'ils en ressortent ; mais pour ne les avoir aperçus qu'une fois, il est bien rare que je les reconnaisse ; peut-être aussi ont-ils un peu changé."

Mes inscriptions, Louis Scutenaire,  Labor, 1990

lundi 18 février 2013

à deux mains





Célia Bruneau


peut-être que tu ne diras rien
que tu t’assiéras à mes côtés
indifférent aux taches jaunes
sur ma jupe, mon chemisier

peut-être que tu ne regarderas pas
mon sourire bête et tous ces trous
entre mes lèvres, ta cuisse contre
ma cuisse dans le jardin

peut-être que cela te sera égal
d'être avec une fille à moitié fondue
calotte ouverte, cervelle répandue
entre ses pieds


que cela n'a pas d'importance
que je ne pense pas
que j'articule à peine
que j'ignore jusqu'à même
cette chose qui coule


tant que tes mains chaudes en coupe arrêtent l'instant, là, à l'intérieur de moi


ma tête est un fromage à trous
où de minuscules monstres gesticulent

le vent passe, repasse et siffle
sur le bord crénelé de leurs
mandibules

on entend
si on approche l'oreille
très très prés de ma joue

les claquements de dents
la mastication lente des enfants
à crâne lisse

on entend inextinguibles
les mots mâchés sur les parois
de mes orifices

on les entend qui coulent, roulent
puis rebondissent dans le ventre
de cadavres à grands yeux


mes petites larves qui grouillent dans le fromage à trous dont il ne restera un jour plus rien du tout ...




"On n'invente peut-être pas, on retrouve. L'inspiration c'est peut-être la mémoire"

Louis Scutenaire, Mes inscriptions, Labor, 1990

dimanche 17 février 2013

Candice Nguyen

je parle à mes morts
qui est-ce que ça intéresse ?
chacun a tant à faire
chacun a son fantôme
alors quoi ?


il y a la vie, c'est tout
il me le dit
        la vie
il me secoue bien fort
la vie même dans la douloureuse
la souffreteuse respiration 
qui chiffonne les pétales
dans les poumons

il le répète
          elle est 
c'est drôle non ?
dans ce souffle coupé
quand tu dévales, dégringoles les escaliers
quand tu éprouves la résistance de tes côtes
sur l'arête aigüe des marches

il me le redit encore
juste avant de me pousser
à mon oreille
il répète son petit conseil
un coup de tatane entre les omoplates
Cesse 
ton pitoyable 
ton indécent 
ressassement

il rit      il rit
l'urgence de la vie :
ah, les escaliers
tu n'en as pas fini
de rouler en boule 
de tomber, de sentir 
les meurtrissures, les bleus 
sur ta peau le ciel mauve 
dans ta chair la violence du sol


je parle aux morts
mes ronds de fumées
alors que je ferais mieux
en bas       tout en bas
d'avaler sans un mot
une grande goulée d'air


samedi 16 février 2013

mercredi 13 février 2013

Mots

on m'a expliqué un jour
qu'on publiait mes poèmes
parce que
on
            c'était un gentil on
sentait bien que
            bien que
là en dessous
on le sentait
vrai de vrai
              on en avait
que mes mots
pourraient
aller
              allez
plus loin
plus fort
plus vif
plus vite
              un p'tit effort 

on m'a dit ça
un jour
au siècle dernier
et pour faire court
            on ne va pas
c'est vrai mes mots
peuvent être
vont plus
            peut-être
vite
loin
vif
fort
            tout ça tout ça
dans le désordre

les mots courent
moi je traîne
           derrière 
j'ahane m'essouffle
en douce

Livres

"Un tel afflux de livres, rassemblés au même endroit, éventuellement sur plusieurs étages, la privait de tout discernement ; c'était trop de tout, et tout à la fois d'un seul coup. Les livres qu'elle n'avait pas lus, ceux qu'elle ne lirait jamais, et ceux perfides entre tous, qu'elle aurait dû avoir déjà lus, auparavant, dans les lointaines années de sa première vie, tous les livres étaient là, en bataillons réglementaires, en régiments assermentés, offerts et refusés, gardés par des créatures minces et bien vêtues qui faisaient, à l'entrée des rayons, barrage de leurs corps policés et dont la carnation distinguée semblait emprunter à la matière même des ouvrages les plus précieux."

extrait de Les pays, p.93-94, Marie-Hélène Lafon, Buchet Chastel, 2012


vu sur la main du singe

mardi 12 février 2013

L'oiseau

Eric Slayton

A l'intérieur
il y a cet oiseau

unique

aux plumes rouges
aux yeux incandescents
là dessous, son battement
fébrile, mon agitation folle
à l'intérieur, il y a un vol



Il m'appelle
(quand il m'appelle seulement)

la muette

hors de moi rien ne filtre
seul l'oiseau vibrionne
ses pennes mordorées
sous mon corps élastique
fatiguent



*

pas de bruit pas de mot
la  mine gris souris
le gilet gris acier
la robe gris foncé
la mouette énamourée
là sur le canapé
pas de mot pas de bruit

*

juste

sous le cœur
l'autre cœur
petit         petit

mon œil qui jette ses miettes
sur les carreaux cassés

mon œil qui vire et guette
va-t-il me déchirer ?

son bec va-t-il découdre
ce lourd bistre filet ?

oiseau        oiseau
vas-tu faire fondre enfin
mes deux seins mettre à jour
les cris de la forêt ?

*

pas de bruit
j'attends que le temps passe
qu'il parte ou qu'il me baise
pas de mots
que cesse 
d'échouer
cet oiseau
sur mes os
                    



dimanche 10 février 2013

Ta première fois...

Le bonheur fait un drôle de bruit au fond du récipient
Tu es assise tout au bord du canapé où tu entends encore
le bruissement des billets et le tintement de la petite monnaie
sur le carrelage, la musique de l'aigu et du grave
jetés nonchalamment
juste avant

Oui, le drôle de bruit du bonheur au fond du pavillon
ça résonne jusque dans le cœur
tu t'y accroches
tu as de quoi tenir un peu
Il l'a dit en partant
juste avant

samedi 9 février 2013

yulia kazban

Dans ton ventre

Les fluides qui s'amassent, s'entassent et se mêlent
Les humeurs à l'odeur aigre qui gélifient

Dans ton ventre
Quand même (les mêmes mots, toujours les deux mêmes, que tu uses d'un à l'autre poème)
Quand même, le furieux ricochet des syllabes au fil de tes eaux






un jour, le baiser redevient
une langue, c'est comme ça
un muscle épais gluant

ça rentre, ça claque
il y a toujours, dans un sens
ou un autre, une première fois

sous le sentiment nu
la chair qui pénètre, attaque
la salive qui retisse la distance
entre lui et toi



pourtant
quand même
le je t'aime glisse
à chaque fois

tu salives
et ça tombe
par les fentes bien au fond
tout au fond de toi

"Il ne suffit pas de pénétrer l'autre..." - Michel Merlen

AU PLUS VIF DES VIVANTS

Je veux qu'on le sache
j'ai de l'admiration
pour tout ce qui est vivant
pour le pain chaud de tes cuisses
pour les fraises de ton sexe
pour les nuits blondes de tes pupilles
je veux qu'on le sache
j'ai des balafres j'ai des plaies
je sors des hôpitaux
pour me soigner
au vent cinglant des villes
à l'iode du sourire des filles
mais le métro mâche mes mots
les voitures m'évitent
je glisse sur les boulevards
comme une boule de billard
je fais la queue dans les jardins
mes pas bâtis à la hâte
deviennent sommaires
je ne sais plus pourquoi je marche

ANGST

Il t'est arrivé un accident. Comme des
coups de maillet sur la mémoire à vif.
Les sapins bleus tournent. Angst pèse
sur chaque mot. Chrysalide de la pen-
sée. Encre ou rasoir. Les petits pas de
l'écriture brillent sur le givre. Ne pas
laisser  se dilater les  pupilles.  Tu
d o i s rejoindre la meute des vivants.

______________

Il ne suffit pas de pénétrer l'autre
pour sortir de soi




Extraits de Borderline, Michel Merlen, Standard 1991



mercredi 6 février 2013

fibrillations (extrait) - Jean-Marc Undriener

"...j’en arrive à être moins immergé dans le réel que dans le virtuel. virtuel qui n’est pas virtuel du tout, en fait. tout cela a/est une réalité. cela existe. disons que c’est numérisé. médiatisé. que c’est une représentation. mais le monde concret autour de moi, il est là. je peux le toucher, lui. je peux le toucher, le sentir, le respirer, m’en imprégner physiquement et pourtant je ne le fais pas. les rares moments où je m’y aventure, c’est pour le mettre dans une boîte, et le faire passer de la boîte à une boîte plus grande et plus large. une boîte publique. la photographie. c’est encore de la distance que je mets entre le monde et moi.

il faudrait pouvoir marcher dans le monde sans garder la moindre trace du passage. sans chercher à témoigner de sa présence. c’est sans doute ça, l’humilité absolue. ne pas laisser la moindre empreinte. savoir qu’on existe devrait suffire. pas besoin de preuve. à croire que je doute de ma propre existence, de ma propre consistance. de mon utilité. et que c’est ce qui me fait agir. il y a sans doute une erreur d’appréciation, quelque chose à creuser, là. comme s’il fallait que tout serve, que tout soit recyclé, que tout soit rendu public. l’essentiel comme le futile. si on trie bien dans tout ça, on risque de garder bien peu de choses. et c’est ce peu que j’aimerais (re)trouver. la bonne mesure. la bonne distance..."

Jean-Marc Undriener
le début & la suite sur fibrillations

mardi 5 février 2013


Ta première nuit dehors

clic-clac

ça fait clic
clac ça fait

ça fait clic
           et puis clac

tu ouvres le canapé
et ça ne fait
            plus rien du tout


    clic     clac
    le bruit de la porte
    d'une étoile écarlate à cinq branches sur ta joue


lundi 4 février 2013

Christina Mrozik

Le mot mort est une coque de noix, oubliée, éventrée entre de vieilles miettes, dans un angle invisible, qu'un balai cherche à atteindre chaque jour, en vain, sous le buffet. jusqu'à cet instant, tu l'ignorais. bien que des mites  noires agacent sans relâche ta vue, tes bras qui battent l'air, tes mains qui stoppent net, s'abattent furieuses, sur les colons ailés en grappe sur les murs, derrière chaque battant, dans des boîtes fermées. tu fronces des sourcils, souffles, récures, extermines : elles grouillent. sur tes lèvres, tes oreilles, tes narines, dans tous tes orifices. et tes pores continuent d'exhaler leur odeur volatile. d'autres mots sont lâchés, les mites mangent.
la coque, tu la découvres ce jour où allongée au sol, tu ondules frénétiquement -est-ce la peur ?- la main tendue vers le squelette de noix qui vacille. tu ramènes du bout de l'ongle la coquille qui déborde de vers. dans la transparence des ventres blancs annelés, tu entends s'agiter un embryon de dans le mot.
Je les mets en bouche -c'est le seul moyen pour
Je les passe à droite à gauche
sur la langue la glotte -jusqu'à le haut-le-coeur mais
Je mâche à peine
Je suce suçote -il ne faudrait pas que
J'imprègne de salive
mon fluide dissolvant fend
Je coupe-jusqu'au cœur où


*


Au bout d'un moment
Sur la table
Entre mes mains
Dans la bouche
Ou la tête
Les mots gisent

Mon jus de salive
Tend ses fils entre les commissures
Et ces moitiés de mots
Hululent leurs ventres éclatés
La coulure des syllabes

Au bout d'un moment
Je passe la langue sur l'arête aiguë
Des déchirures
Tous les sens envolés dans la glu de ma joue


*

certains disent
Il n'y a rien au fond
-ceux-là ont percé à jour
sous l'adroit assemblage
de mes mots sur la page
le vide des cailloux-
certains disent
Il n'y a rien derrière
ce n'est pas faux


*


il y a juste la jouissance
le plaisir d'arracher
une à une les peaux
de gratter, de racler
du bout de l'ongle le mot
de ne plus rien comprendre
d'observer longuement
jusqu'à devenir folle
la coque vide et molle
de l'étrange animal


*


sous le mot il y a
ça coule à mon oreille
loin très loin derrière
le giclée de la mer


*


Le mot est une conque :
Qui comprend sa musique ?
werner knaupp

dimanche 3 février 2013

Les dents de lait des vagues* - Jean Baptiste Pedini

"L'océan s'entête à monter. Les eaux viennent mordiller les doigts de pied qui traînent là. Et personne ne recule. Personne ne tente d'échapper aux dents de lait des vagues. Aux morsures humides qui brillent au crépuscule. À ces minuscules piqûres dont on subit l'inconstance. Le vent.La nuit. L'air frais et les moutons. Les mégots qui se glissent entre les lèvres du ciel. Et dont on ne se détourne pas.
Au devant tout est mort. Le jour s'accroche à notre dos pour atteindre le bout de la plage."

Passant l'été, Jean-Baptiste Pédini, Cheyne, 2012


*Ce titre extrait du texte de JBP, résume à lui seul pour moi la mélancolie douce de l'enfance...  : la mer et l'île
On peut à propos de ce recueil lire la belle chronique de Patrice Maltaverne ici

Moki Mioke


samedi 2 février 2013

Il prend mille précautions pour dire, me dire, que là, en ce moment, maintenant, enfin, ce n'est pas, rien de grave au fond, vraiment il est, solide, solide mais bon, il prend de l'âge, il ne dit pas vieillit, j'entends la périphrase, il dit, il a,  quelques soucis, quelques, redit, travailler à son âge, bien sûr qu'il est, fatigué, il est, la voix dit le contrôle, est ferme, est rassurante, et fluide, répète, la date, il la connaît, la dit, l'hospitalisation il la prépare, il me prépare, peut-être pas pour là, maintenant, mais bah, c'est une question de temps, soixante dix ans tout de même, la date, redit, la date du contrôle, la même que celle, c'est drôle, la même, l'anniversaire de M., l'enfant, arrivé sur le tard, drôle de lieu je pense, je prends le mot, l'évide, et plus rien n'a de sens, de suite, à l'instant même, il parle, les mots se suivent, se brouillent, sur la paroi, le téléphone contre l'oreille, à mon oreille, il dit, chuchote, en fait non, parle normalement, c'est la distance, qui fait que nos deux voix tressautent, pourtant, assure, rassure, il n'y a rien de grave, le ventre, le 8, l'anniversaire dommage, il n'a pas vraiment eu, le choix, il dit, ça va, je vais, tu vas ? il dit, il rit, une lettre à changer, a changé, et change, la branche, mon père prêt à sauter, et moi en bas, le ventre, les orteils crispés, par bouts, à dépiauter les mots, les phrases, qu'il dit répète, me force, je l'écoute à moitié, à autre chose, des mots, coquilles, où glisser d'autres mots, le vide, j'entends, le sens me traverser de haut en bas, voilà, il parle, ça recommence, je n'écoute que moi, le bruit de ses cailloux, légers, pleins d'air, entassés et mouvants, sous ma chair molle, et lui, perdu, entre les interstices, en miettes, ailleurs.