il pense au mot
ambiguïté
quand sa main s'arrête
à quelques centimètres
de son visage
quand son regard
brutalement stoppe
à quelques millimètres
de sa paume
il ne sait pas pourquoi elle
elle ne sait pas pourquoi il
comme ça
soudain
une vie équivoque
en suspension
dans l'air
il suppose, dans l'instant bref de leurs gestes suspendus,
que l'un ou l'autre, quand même, va oser l'apostrophe,
tenter de conjurer, mains et regard rompus, l’ambiguïté
des signes
mercredi 27 février 2013
langue - Perrine Le Querrec
"j'entrouvre mes lèvres
je me balbutie
j'enfonce mes doigts
un à un les retire
je perce des trous tire
la langue
j'attends que
ça sorte"
je me balbutie
j'enfonce mes doigts
un à un les retire
je perce des trous tire
la langue
j'attends que
ça sorte"
"langue", in L'entresort, Perrine Le Querrec
mardi 26 février 2013
A la lettre (extrait)
(Souvent
je
me demande
si
je n’ai pas un problème
d’audition)
il
dit
c’est
d’ta faute
m’r’garde
pas
baiss’
les yeux
t’as
compris crevure
m’tiens
pas tête comm’ça
(bizarre,
plus il parle
moins
je comprends)
ton
air d’goss’ battu
kess’ça
change
t’entends
merdeuse
kess’
ça change qu’tu r’grettes
(bizarre,
je pense
ces
apostrophes)
c’ta
faute !
’TA
FAUTE, t’entends !
l’
chtiot est mort
(non,
j’entends pas) je vois
les
postillons gicler
au-dessus
de nos têtes
comme
des larmes
des
gouttes lettres
suspendues
dans l’air
comme
des la’mes
(bizarre
la chute, je pense
mais
je laisse l’apostrophe flotter
pour
que ça fasse moins mal)
extrait de A la lettre, Mi(ni)crobe 38
mercredi 20 février 2013
[?]
Ce tremblement
Cet arrêt
Cette légère palpitation
mon (ton) incertitude suspendue
à ce point d'interrogation
Cet arrêt
Cette légère palpitation
mon (ton) incertitude suspendue
à ce point d'interrogation
[( )]
on n'est pas obligé d'aimer pour rester ensemble
mais b(i)aiser
mais s(')ex(cuser)
ça compte quand même
pourquoi tu ris ?
(tu te trouves très maligne avec tes espaces et tes parenthèses)
mais b(i)aiser
mais s(')ex(cuser)
ça compte quand même
pourquoi tu ris ?
(tu te trouves très maligne avec tes espaces et tes parenthèses)
[/]
Ai-je jamais été honnête avec toi ?
je ne sais pas / peut-être / peut-être pas
je biaise
un i égaré dans le mot
voilà ce qui nous tient
toi /et / moi
Par où fuient les oiseaux....
"En règle générale, je ne poursuis pas mes inscriptions le doigt sur la plume. Presque toujours, elles s'offrent à moi qui les note sans retouche.
Leurs façons me font songer à un colombier, qui serait mon esprit, ménagé tout en haut de la maison, sous les combles, sans porte qui permette d'y entrer de l'intérieur et même sans échelle pour y conduire.
Les pigeons y vivant sortent par des ouvertures pratiquées dans le toit et, pendant qu'ils se pavanent dans la gouttière ou sur la pente, mes grands bras les saisissent, les empaillent et, souvent sans lisser leurs plumes, les rangent dans l'armoire : mon carnet.
Ces pigeons ne s'envolent jamais. Parfois, mes grands bras occupés ailleurs ou trop lents, il arrive que les oiseaux leur échappent, rentrent au colombier. Plus tard, je suis bien assuré qu'ils en ressortent ; mais pour ne les avoir aperçus qu'une fois, il est bien rare que je les reconnaisse ; peut-être aussi ont-ils un peu changé."
Leurs façons me font songer à un colombier, qui serait mon esprit, ménagé tout en haut de la maison, sous les combles, sans porte qui permette d'y entrer de l'intérieur et même sans échelle pour y conduire.
Les pigeons y vivant sortent par des ouvertures pratiquées dans le toit et, pendant qu'ils se pavanent dans la gouttière ou sur la pente, mes grands bras les saisissent, les empaillent et, souvent sans lisser leurs plumes, les rangent dans l'armoire : mon carnet.
Ces pigeons ne s'envolent jamais. Parfois, mes grands bras occupés ailleurs ou trop lents, il arrive que les oiseaux leur échappent, rentrent au colombier. Plus tard, je suis bien assuré qu'ils en ressortent ; mais pour ne les avoir aperçus qu'une fois, il est bien rare que je les reconnaisse ; peut-être aussi ont-ils un peu changé."
Mes inscriptions, Louis Scutenaire, Labor, 1990
lundi 18 février 2013
![]() |
Célia Bruneau |
peut-être que tu ne diras rien
que tu t’assiéras à mes côtés
indifférent aux taches jaunes
sur ma jupe, mon chemisier
peut-être que tu ne regarderas pas
mon sourire bête et tous ces trous
entre mes lèvres, ta cuisse contre
ma cuisse dans le jardin
peut-être que cela te sera égal
d'être avec une fille à moitié fondue
calotte ouverte, cervelle répandue
entre ses pieds
que cela n'a pas d'importance
que je ne pense pas
que j'articule à peine
que j'ignore jusqu'à même
cette chose qui coule
tant que tes mains chaudes en coupe arrêtent l'instant, là, à l'intérieur de moi
ma tête est un fromage à trous
où de minuscules monstres gesticulent
le vent passe, repasse et siffle
sur le bord crénelé de leurs
mandibules
on entend
si on approche l'oreille
très très prés de ma joue
les claquements de dents
la mastication lente des enfants
à crâne lisse
on entend inextinguibles
les mots mâchés sur les parois
de mes orifices
on les entend qui coulent, roulent
puis rebondissent dans le ventre
de cadavres à grands yeux
mes petites larves qui grouillent dans le fromage à trous dont il ne restera un jour plus rien du tout ...
dimanche 17 février 2013
je parle à mes morts
qui est-ce que ça intéresse ?
chacun a tant à faire
chacun a son fantôme
alors quoi ?
il y a la vie, c'est tout
il me le dit
la vie
il me secoue bien fort
la vie même dans la douloureuse
la souffreteuse respiration
qui chiffonne les pétales
dans les poumons
il le répète
elle est
c'est drôle non ?
dans ce souffle coupé
quand tu dévales, dégringoles les escaliers
quand tu éprouves la résistance de tes côtes
sur l'arête aigüe des marches
il me le redit encore
juste avant de me pousser
à mon oreille
il répète son petit conseil
un coup de tatane entre les omoplates
Cesse
ton pitoyable
ton indécent
ressassement
il rit il rit
l'urgence de la vie :
ah, les escaliers
tu n'en as pas fini
de rouler en boule
de tomber, de sentir
les meurtrissures, les bleus
sur ta peau le ciel mauve
dans ta chair la violence du sol
je parle aux morts
mes ronds de fumées
alors que je ferais mieux
en bas tout en bas
d'avaler sans un mot
une grande goulée d'air
qui est-ce que ça intéresse ?
chacun a tant à faire
chacun a son fantôme
alors quoi ?
il y a la vie, c'est tout
il me le dit
la vie
il me secoue bien fort
la vie même dans la douloureuse
la souffreteuse respiration
qui chiffonne les pétales
dans les poumons
il le répète
elle est
c'est drôle non ?
dans ce souffle coupé
quand tu dévales, dégringoles les escaliers
quand tu éprouves la résistance de tes côtes
sur l'arête aigüe des marches
il me le redit encore
juste avant de me pousser
à mon oreille
il répète son petit conseil
un coup de tatane entre les omoplates
Cesse
ton pitoyable
ton indécent
ressassement
il rit il rit
l'urgence de la vie :
ah, les escaliers
tu n'en as pas fini
de rouler en boule
de tomber, de sentir
les meurtrissures, les bleus
sur ta peau le ciel mauve
dans ta chair la violence du sol
je parle aux morts
mes ronds de fumées
alors que je ferais mieux
en bas tout en bas
d'avaler sans un mot
une grande goulée d'air
samedi 16 février 2013
mercredi 13 février 2013
Mots
on m'a expliqué un jour
qu'on publiait mes poèmes
parce que
on
c'était un gentil on
sentait bien que
bien que
là en dessous
on le sentait
vrai de vrai
on en avait
que mes mots
pourraient
aller
allez
plus loin
plus fort
plus vif
plus vite
un p'tit effort
on m'a dit ça
un jour
au siècle dernier
et pour faire court
on ne va pas
c'est vrai mes mots
peuvent être
vont plus
peut-être
vite
loin
vif
fort
tout ça tout ça
dans le désordre
les mots courent
moi je traîne
derrière
j'ahane m'essouffle
en douce
qu'on publiait mes poèmes
parce que
on
c'était un gentil on
sentait bien que
bien que
là en dessous
on le sentait
vrai de vrai
on en avait
que mes mots
pourraient
aller
allez
plus loin
plus fort
plus vif
plus vite
un p'tit effort
on m'a dit ça
un jour
au siècle dernier
et pour faire court
on ne va pas
c'est vrai mes mots
peuvent être
vont plus
peut-être
vite
loin
vif
fort
tout ça tout ça
dans le désordre
les mots courent
moi je traîne
derrière
j'ahane m'essouffle
en douce
Livres
"Un tel afflux de livres, rassemblés au même endroit, éventuellement sur plusieurs étages, la privait de tout discernement ; c'était trop de tout, et tout à la fois d'un seul coup. Les livres qu'elle n'avait pas lus, ceux qu'elle ne lirait jamais, et ceux perfides entre tous, qu'elle aurait dû avoir déjà lus, auparavant, dans les lointaines années de sa première vie, tous les livres étaient là, en bataillons réglementaires, en régiments assermentés, offerts et refusés, gardés par des créatures minces et bien vêtues qui faisaient, à l'entrée des rayons, barrage de leurs corps policés et dont la carnation distinguée semblait emprunter à la matière même des ouvrages les plus précieux."
extrait de Les pays, p.93-94, Marie-Hélène Lafon, Buchet Chastel, 2012
mardi 12 février 2013
L'oiseau
![]() |
Eric Slayton |
A l'intérieur
il y a cet oiseau
unique
aux plumes rouges
aux yeux incandescents
là dessous, son battement
fébrile, mon agitation folle
à l'intérieur, il y a un vol
Il m'appelle
(quand il m'appelle seulement)
la muette
hors de moi rien ne filtre
seul l'oiseau vibrionne
ses pennes mordorées
sous mon corps élastique
fatiguent
*
pas de bruit pas de mot
la mine gris souris
le gilet gris acier
la robe gris foncé
la mouette énamourée
là sur le canapé
pas de mot pas de bruit
*
juste
sous le cœur
l'autre cœur
petit petit
mon œil qui jette ses miettes
sur les carreaux cassés
mon œil qui vire et guette
va-t-il me déchirer ?
son bec va-t-il découdre
ce lourd bistre filet ?
oiseau oiseau
vas-tu faire fondre enfin
mes deux seins mettre à jour
les cris de la forêt ?
*
pas de bruit
j'attends que le temps passe
qu'il parte ou qu'il me baise
pas de mots
que cesse
d'échouer
cet oiseau
sur mes os
dimanche 10 février 2013
Ta première fois...
Le bonheur fait un drôle de bruit au fond du récipient
Tu es assise tout au bord du canapé où tu entends encore
le bruissement des billets et le tintement de la petite monnaie
sur le carrelage, la musique de l'aigu et du grave
jetés nonchalamment
juste avant
Oui, le drôle de bruit du bonheur au fond du pavillon
ça résonne jusque dans le cœur
tu t'y accroches
tu as de quoi tenir un peu
Il l'a dit en partant
juste avant
Tu es assise tout au bord du canapé où tu entends encore
le bruissement des billets et le tintement de la petite monnaie
sur le carrelage, la musique de l'aigu et du grave
jetés nonchalamment
juste avant
Oui, le drôle de bruit du bonheur au fond du pavillon
ça résonne jusque dans le cœur
tu t'y accroches
tu as de quoi tenir un peu
Il l'a dit en partant
juste avant
samedi 9 février 2013
Dans ton ventre
Les fluides qui s'amassent, s'entassent et se mêlent
Les humeurs à l'odeur aigre qui gélifient
Dans ton ventre
Quand même (les mêmes mots, toujours les deux mêmes, que tu uses d'un à l'autre poème)
Quand même, le furieux ricochet des syllabes au fil de tes eaux
Les humeurs à l'odeur aigre qui gélifient
Dans ton ventre
Quand même (les mêmes mots, toujours les deux mêmes, que tu uses d'un à l'autre poème)
Quand même, le furieux ricochet des syllabes au fil de tes eaux
un jour, le baiser redevient
une langue, c'est comme ça
un muscle épais gluant
ça rentre, ça claque
il y a toujours, dans un sens
ou un autre, une première fois
sous le sentiment nu
la chair qui pénètre, attaque
la salive qui retisse la distance
entre lui et toi
pourtant
quand même
le je t'aime glisse
à chaque fois
tu salives
et ça tombe
par les fentes bien au fond
tout au fond de toi
"Il ne suffit pas de pénétrer l'autre..." - Michel Merlen
AU PLUS VIF DES VIVANTS
Je veux qu'on le sache
j'ai de l'admiration
pour tout ce qui est vivant
pour le pain chaud de tes cuisses
pour les fraises de ton sexe
pour les nuits blondes de tes pupilles
je veux qu'on le sache
j'ai des balafres j'ai des plaies
je sors des hôpitaux
pour me soigner
au vent cinglant des villes
à l'iode du sourire des filles
mais le métro mâche mes mots
les voitures m'évitent
je glisse sur les boulevards
comme une boule de billard
je fais la queue dans les jardins
mes pas bâtis à la hâte
deviennent sommaires
je ne sais plus pourquoi je marche
ANGST
Il t'est arrivé un accident. Comme des
coups de maillet sur la mémoire à vif.
Les sapins bleus tournent. Angst pèse
sur chaque mot. Chrysalide de la pen-
sée. Encre ou rasoir. Les petits pas de
l'écriture brillent sur le givre. Ne pas
laisser se dilater les pupilles. Tu
d o i s rejoindre la meute des vivants.
______________
Il ne suffit pas de pénétrer l'autre
pour sortir de soi
Extraits de Borderline, Michel Merlen, Standard 1991
Je veux qu'on le sache
j'ai de l'admiration
pour tout ce qui est vivant
pour le pain chaud de tes cuisses
pour les fraises de ton sexe
pour les nuits blondes de tes pupilles
je veux qu'on le sache
j'ai des balafres j'ai des plaies
je sors des hôpitaux
pour me soigner
au vent cinglant des villes
à l'iode du sourire des filles
mais le métro mâche mes mots
les voitures m'évitent
je glisse sur les boulevards
comme une boule de billard
je fais la queue dans les jardins
mes pas bâtis à la hâte
deviennent sommaires
je ne sais plus pourquoi je marche
ANGST
Il t'est arrivé un accident. Comme des
coups de maillet sur la mémoire à vif.
Les sapins bleus tournent. Angst pèse
sur chaque mot. Chrysalide de la pen-
sée. Encre ou rasoir. Les petits pas de
l'écriture brillent sur le givre. Ne pas
laisser se dilater les pupilles. Tu
d o i s rejoindre la meute des vivants.
______________
Il ne suffit pas de pénétrer l'autre
pour sortir de soi
Extraits de Borderline, Michel Merlen, Standard 1991
mercredi 6 février 2013
fibrillations (extrait) - Jean-Marc Undriener
"...j’en
arrive à être moins immergé dans le réel que dans le virtuel. virtuel
qui n’est pas virtuel du tout, en fait. tout cela a/est une réalité.
cela existe. disons que c’est numérisé. médiatisé. que c’est une
représentation. mais le monde concret autour de moi, il est là.
je peux le toucher, lui. je peux le toucher, le sentir, le respirer,
m’en imprégner physiquement et pourtant je ne le fais pas. les rares
moments où je m’y aventure, c’est pour le mettre dans une boîte, et le
faire passer de la boîte à une boîte plus grande et plus large. une
boîte publique. la photographie. c’est encore de la distance que je mets
entre le monde et moi.
il faudrait pouvoir marcher dans le monde sans garder la moindre trace du passage. sans chercher à témoigner de sa présence. c’est sans doute ça, l’humilité absolue. ne pas laisser la moindre empreinte. savoir qu’on existe devrait suffire. pas besoin de preuve. à croire que je doute de ma propre existence, de ma propre consistance. de mon utilité. et que c’est ce qui me fait agir. il y a sans doute une erreur d’appréciation, quelque chose à creuser, là. comme s’il fallait que tout serve, que tout soit recyclé, que tout soit rendu public. l’essentiel comme le futile. si on trie bien dans tout ça, on risque de garder bien peu de choses. et c’est ce peu que j’aimerais (re)trouver. la bonne mesure. la bonne distance..."
Jean-Marc Undriener
le début & la suite sur fibrillations
il faudrait pouvoir marcher dans le monde sans garder la moindre trace du passage. sans chercher à témoigner de sa présence. c’est sans doute ça, l’humilité absolue. ne pas laisser la moindre empreinte. savoir qu’on existe devrait suffire. pas besoin de preuve. à croire que je doute de ma propre existence, de ma propre consistance. de mon utilité. et que c’est ce qui me fait agir. il y a sans doute une erreur d’appréciation, quelque chose à creuser, là. comme s’il fallait que tout serve, que tout soit recyclé, que tout soit rendu public. l’essentiel comme le futile. si on trie bien dans tout ça, on risque de garder bien peu de choses. et c’est ce peu que j’aimerais (re)trouver. la bonne mesure. la bonne distance..."
Jean-Marc Undriener
le début & la suite sur fibrillations
mardi 5 février 2013
Ta première nuit dehors
ça fait clic
clac ça fait
ça fait clic
et puis clac
tu ouvres le canapé
et ça ne fait
plus rien du tout
clic clac
le bruit de la porte
d'une étoile écarlate à cinq branches sur ta joue
lundi 4 février 2013
![]() |
Christina Mrozik |
Le mot mort est une coque de noix, oubliée, éventrée entre de vieilles miettes, dans un angle invisible, qu'un balai cherche à atteindre chaque jour, en vain, sous le buffet. jusqu'à cet instant, tu l'ignorais. bien que des mites noires agacent sans relâche ta vue, tes bras qui battent l'air, tes mains qui stoppent net, s'abattent furieuses, sur les colons ailés en grappe sur les murs, derrière chaque battant, dans des boîtes fermées. tu fronces des sourcils, souffles, récures, extermines : elles grouillent. sur tes lèvres, tes oreilles, tes narines, dans tous tes orifices. et tes pores continuent d'exhaler leur odeur volatile. d'autres mots sont lâchés, les mites mangent.
la coque, tu la découvres ce jour où allongée au sol, tu ondules frénétiquement -est-ce la peur ?- la main tendue vers le squelette de noix qui vacille. tu ramènes du bout de l'ongle la coquille qui déborde de vers. dans la transparence des ventres blancs annelés, tu entends s'agiter un embryon de r dans le mot.
Je les mets en bouche -c'est le seul moyen pour
Je les passe à droite à gauche
sur la langue la glotte -jusqu'à le haut-le-coeur mais
Je mâche à peine
Je suce suçote -il ne faudrait pas que
J'imprègne de salive
mon fluide dissolvant fend
Je coupe-jusqu'au cœur où
*
Au bout d'un moment
Sur la table
Entre mes mains
Dans la bouche
Ou la tête
Les mots gisent
Mon jus de salive
Tend ses fils entre les commissures
Et ces moitiés de mots
Hululent leurs ventres éclatés
La coulure des syllabes
Au bout d'un moment
Je passe la langue sur l'arête aiguë
Des déchirures
Tous les sens envolés dans la glu de ma joue
*
certains disent
Il n'y a rien au fond
-ceux-là ont percé à jour
sous l'adroit assemblage
de mes mots sur la page
le vide des cailloux-
certains disent
Il n'y a rien derrière
ce n'est pas faux
*
il y a juste la jouissance
le plaisir d'arracher
une à une les peaux
de gratter, de racler
du bout de l'ongle le mot
de ne plus rien comprendre
d'observer longuement
jusqu'à devenir folle
la coque vide et molle
de l'étrange animal
*
sous le mot il y a
ça coule à mon oreille
loin très loin derrière
le giclée de la mer
*
Le mot est une conque :
Qui comprend sa musique ?
Je les passe à droite à gauche
sur la langue la glotte -jusqu'à le haut-le-coeur mais
Je mâche à peine
Je suce suçote -il ne faudrait pas que
J'imprègne de salive
mon fluide dissolvant fend
Je coupe-jusqu'au cœur où
*
Au bout d'un moment
Sur la table
Entre mes mains
Dans la bouche
Ou la tête
Les mots gisent
Mon jus de salive
Tend ses fils entre les commissures
Et ces moitiés de mots
Hululent leurs ventres éclatés
La coulure des syllabes
Au bout d'un moment
Je passe la langue sur l'arête aiguë
Des déchirures
Tous les sens envolés dans la glu de ma joue
*
certains disent
Il n'y a rien au fond
-ceux-là ont percé à jour
sous l'adroit assemblage
de mes mots sur la page
le vide des cailloux-
certains disent
Il n'y a rien derrière
ce n'est pas faux
*
il y a juste la jouissance
le plaisir d'arracher
une à une les peaux
de gratter, de racler
du bout de l'ongle le mot
de ne plus rien comprendre
d'observer longuement
jusqu'à devenir folle
la coque vide et molle
de l'étrange animal
*
sous le mot il y a
ça coule à mon oreille
loin très loin derrière
le giclée de la mer
*
Le mot est une conque :
Qui comprend sa musique ?
dimanche 3 février 2013
Les dents de lait des vagues* - Jean Baptiste Pedini
"L'océan s'entête à monter. Les eaux viennent mordiller les doigts de pied qui traînent là. Et personne ne recule. Personne ne tente d'échapper aux dents de lait des vagues. Aux morsures humides
qui brillent au crépuscule. À ces minuscules piqûres dont on subit l'inconstance. Le vent.La nuit. L'air frais et les moutons. Les mégots qui se glissent entre les lèvres du ciel. Et dont on ne se détourne pas.
Au devant tout est mort. Le jour s'accroche à notre dos pour atteindre le bout de la plage."
Au devant tout est mort. Le jour s'accroche à notre dos pour atteindre le bout de la plage."
Passant l'été, Jean-Baptiste Pédini, Cheyne, 2012
*Ce titre extrait du texte de JBP, résume à lui seul pour moi la mélancolie douce de l'enfance... : la mer et l'île
On peut à propos de ce recueil lire la belle chronique de Patrice Maltaverne ici
samedi 2 février 2013
Il prend mille précautions pour dire, me dire, que là, en ce moment, maintenant, enfin, ce n'est pas, rien de grave au fond, vraiment il est, solide, solide mais bon, il prend de l'âge, il ne dit pas vieillit, j'entends la périphrase, il dit, il a, quelques soucis, quelques, redit, travailler à son âge, bien sûr qu'il est, fatigué, il est, la voix dit le contrôle, est ferme, est rassurante, et fluide, répète, la date, il la connaît, la dit, l'hospitalisation il la prépare, il me prépare, peut-être pas pour là, maintenant, mais bah, c'est une question de temps, soixante dix ans tout de même, la date, redit, la date du contrôle, la même que celle, c'est drôle, la même, l'anniversaire de M., l'enfant, arrivé sur le tard, drôle de lieu je pense, je prends le mot, l'évide, et plus rien n'a de sens, de suite, à l'instant même, il parle, les mots se suivent, se brouillent, sur la paroi, le téléphone contre l'oreille, à mon oreille, il dit, chuchote, en fait non, parle normalement, c'est la distance, qui fait que nos deux voix tressautent, pourtant, assure, rassure, il n'y a rien de grave, le ventre, le 8, l'anniversaire dommage, il n'a pas vraiment eu, le choix, il dit, ça va, je vais, tu vas ? il dit, il rit, une lettre à changer, a changé, et change, la branche, mon père prêt à sauter, et moi en bas, le ventre, les orteils crispés, par bouts, à dépiauter les mots, les phrases, qu'il dit répète, me force, je l'écoute à moitié, à autre chose, des mots, coquilles, où glisser d'autres mots, le vide, j'entends, le sens me traverser de haut en bas, voilà, il parle, ça recommence, je n'écoute que moi, le bruit de ses cailloux, légers, pleins d'air, entassés et mouvants, sous ma chair molle, et lui, perdu, entre les interstices, en miettes, ailleurs.
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