mardi 28 juin 2011

Addiction #2

un texte again
sur FPDV

oeuvre de Solange Knopf sur le thème du mois de juin

(Addict or not Addict that's the question ? ;)

lundi 27 juin 2011

Les arbres

© L'entrée des sauvages

Elle est assise sur le muret, jambes pendantes tapant en rythme les pierres. Cela fait toc toc toc... une musique sèche, qui vibre jusqu'aux genoux.
En bas, la terre, et les nuages de poussière.
En haut, rien.
 
Il est presque midi, l'air est étouffant. La sueur coule dans son dos, la répand posément, comme une matière molle, sur le béton brûlant.
La maison de l'autre côté est silencieuse, tous les volets sont clos. Elle est sortie seule, à l'heure la plus chaude de la journée, à cause des arbres. Hauts, maigres, alignés comme des pieux, dans le ciel bleu et vide. 
 
A travers la fenêtre, elle avait vu plus tôt, le vent faiblard et inconstant soulever des brindilles, faire rouler un ballon aux couleurs défraîchies, contre la table.
Premier plan 

Réduire l'oeil à la fente
 
Un peu plus loin, la haie, la cloture du jardin. Et derrière, de l'autre côté de la rue,  une armée végétale : des soldats troncs, touffus et  fixes.
Second plan. 
Traquer un mouvement
 
Elle est assise et peine à pénètrer du regard, le feuillage compact. Ses yeux rebondissent comme des balles sur chaque hallebarde. Pourtant il y a une faille, une entrée, un secret. Il y en a forcément. Les piaillements d'oiseaux, les stridulations d'insectes grouillent dans l'enchevêtrement des branches invisibles. Elle entend leur murmure, leur sourd chuchotement. Elle sent sur sa peau moite, leur lent écoulement.
Est-ce que ces bruits minuscules sont des larmes ? Est-ce que ce sont des plumes, des élytres qui glissent, le long de ses cuisses ? 
Elle ne sait pas, elle sent les pointes, le tranchant de ces dagues, plantées profondément en terre, entrer dans son cerveau. Et ça fuit tout là haut, comme un nuage qu'on crève, un ballon de baudruche qui pète et file au loin. Les entrailles qui coulent, sont-elles vraiment les siennes ?...
 

La femme est soudain devant elle. Elle ne l'a pas entendu arriver, elle a d'un coup senti l'odeur rude de sa robe.
La main qui effleure son front est froide... Il fait quarante à l'ombre, la fièvre la terrasse, et l'autre a les mains froides.
- Viens... Rentre embrasser ton père... Tu vas le regretter.
 
Elle détourne la tête. Les arbres aigus ont fait comme une plaie dans sa colonne. Elle forme avec sa main un viseur devant l'oeil.
Gros plan
Tirer la langue.

Elle n'a pas mal, finalement.
Les arbres ne coupent pas. Ils sont friables et doux comme des sorbets. Il suffit de sucer, leur pointe fond en bouche.
C'est aussi simple que ça. Elle a le choix.
 

Hélène Lagnieu

Les poissons rouges - 2010

maman d'albinos  - 2009

Découvrez l'univers d'Hélène Lagnieu, artiste peintre plasticienne

Addiction

Boire, manger, fumer, faire quelque chose, n'importe quoi. Avoir les mains prises. S'agiter, s'exciter, branler. C'est bien de ça, hein, qu'il s'agit, baiser ou être baisé.

Alors j'avale, liquide, solide, peu importe : faut se remplir pour ne pas avoir mal. C'est pas trop difficile, suffit de secouer le bras comme les autres, genre pantin désarticulé.

Ouais, faut prendre un air, taper dans le dos des potes, et trinquer. Un verre, une saucisse, une femme à la main.
Même s'il arrive de plus en plus souvent, qu'un manque me fonce dessus sans prévenir. Généralement en fin de mois, vers le vingt. Plus une tune pour me payer tout mon bazar.

C'est souvent le soir, quand je suis seul avec mon frigo, mes poches, et mon lit vides. J'ai même pas l'ombre d'un demi cacheton, pour me booster le cœur, pour assommer le silence d'un battement uppercut. J'ai froid, je tremble, et parfois même je pleure.

Mais j'ai plus d'un tour dans mon sac.
Alors je prends une ficelle, ou un couteau, ou si je tremble trop, mes mains. Je descends sur l'immense terrain vague derrière l'immeuble, je m'accroupis dans un coin sombre, et j'attends... Y a toujours une bête, un chat, un rat, qui passe.
Alors je le crève, comme j'ai dit plus haut, avec une corde, un couteau, à mains nues... Faut bien que le cerveau immobile, qui commencait à se carapater par tous mes orifices, s'arrête de couler.
Et la mort de la bête, mon vieux, c'est aussi efficace qu'une piquouze de cholestérol en plein dans la carotide. Et toute cette purée de mots rentre aussi sec, et en ordre, dans le crâne. Comme une armée de fourmis obéissantes. Tu vois, j'ai de quoi voir venir...

Je me demande seulement ce que je ferai, le jour où ils commenceront à bâtir leur foutu centre hospitalier.

publié initialement sur FPDV, juin 2011, Addiction

jeudi 23 juin 2011

© F. Laborde

mercredi 22 juin 2011

Pour la soif

Parfois pour la soif
je passe la langue
dans les plis du cou
d'un enfant
de cinq ans

J'en ai un
sous la main
ça tombe bien
c'est le mien

Dans le creux de l'épaule
il a des grains d'opale
des gravillons juteux
des rocs odorifères
des pépites salées

Je lèche
Je gobe
Je prends
en bouche
J'avale
J'apaise
l'oeil
et la toux

La gorgée
de sueur
calée contre
ma joue
is back

samedi 18 juin 2011

Elle se rappelle de ce matin dans la salle de bain, c'était y a quoi, un jour, un mois, un an... elle ne se souvient pas bien, les dates sont toujours floues.
Elle se rappelle juste de son visage. Nu. Dans le miroir.

Pour la première fois, elle avait aperçu les dentelures, creusées ici et là, dans la chair et dans l'os.

Et elle l'avait maudit. Lui et ses mots d'amour, ses attentions tendres, ses morsures avides.
Ses mots comme des fauves machouillant son corps vide.
Sa bouche vomissant son intranquillité, "c'est dans l'ordre des choses qu'on s'affaisse, qu'on coule, que les chairs se défassent".

Il dit qu'il aime ça. Elle sent craquer ses os sous ses molaires, elle entend sa colonne vertébrale juter sur son menton.

Il dit ça, il sourit, et elle le hait plus fort.

Elle pleure.
Sur elle, évidemment.
Sur qui d'autre, sinon ?
Elle n'a pas d'enfant à se mettre sous la dent.


Publié initialement sur FPDV, au mois de mai 2011, thème Cannibalisme

"Un jour ou l'autre, je sais que la police viendra chez moi" - HF Thiéfaine



L'agence des amants de Mme Müller De l'amour de l'art ou du cochon, Hubert-Félix Thiéfaine, 1980

mardi 14 juin 2011

Angelene




My first name Angelene
Prettiest mess you've ever seen
Love for money is my sin
Any man calls, I'll let him in

Rose is my colour, and white
Pretty mouth and green my eyes
...

Is this desire ?, P.J. Harvey, 1998 

dimanche 12 juin 2011

Hue dia



















Pas très loin
sous la peau
on est deux

D'abord
la rigolote
(apparente)

Bouche fendue
toujours bonne
à avaler les couleuvres
les escargots, les rats
ceci, cela, n'importe quoi

La bouche à tailler
les plaies, le soleil, le ciel
les éclats de rires en pointes
Si large qu'un troupeau d'éléphants
barrit au dedans en dégringolant


Et plus bas
(contenue)
la noire

Langue adipeuse
qui partitionne
à coups de boutoir
les papiers gras

mardi 7 juin 2011

Ver


j'ai lu un poème
humide et moussu, tapissé de lichens
j'ai lu comme on applique avec délicatesse
la gouache grasse verte sur un cerveau

tout ça à cause d'un petit pois qui germe
tout ça à cause d'une image ronde qui roule
en l'oeil en bouche dans ma calotte

à chaque clignement de paupières j'écosse
chaque gousse est prairie tortueuse de hampes
et ça coule le long de mes joues, de ma bouche
ça convoque l'ailleurs, ça tisse des traverses
dans l'oreille, les narines, et souvent dans le coeur
il y a un ver

*

ça résonne en écho

vert
vert
vert

ça rebondit
verts, avec un s
chaque heurt sur mon corps
déforme sa structure
et bientôt je divague
je quitte le poème

je plonge
dans cet homme aux yeux verts piqués d'or
dans cet homme aux fentes que je dévore
dans ce clapotis doux de cils

je glisse
à chaque lapée, sur des algues mouvantes
à chaque regard, sur des pierres coupantes

le cul par dessus tête
trempée jusqu'à la moëlle
je noie mon désir dans
d'épais remous
verts

dimanche 5 juin 2011

Les Designs charognes de Fabrice Marzuolo















Ai beaucoup aimé, notamment, les Fins de journée où tout s'étire et pèse, ou la Poésie universelle pour les crânes d'oiseaux des poètes

Extrait
"Il fait un temps gris une lumière
Qui rend visibles les barreaux

La journée tourne en long

Le soir
Les voitures rentrent au bercail
Et il n'y a plus que de l'air sale"

Pour commander contacter l'auteur par

LES DESIGNS CHAROGNES
par Fabrice Marzuolo
Éd. de L’Autobus, 2011
20 pages
3 €
ISBN : 978-2-9539320-0-3

samedi 4 juin 2011

Sortir une corde du sac, sur une aire d'autoroute

Elle roule vite. Très vite. Elle tient sa moyenne.
C'est facile, suffit juste de maintenir le pied au plancher.

Elle pense qu'elle pourra peut-être faire signer des clients avant la fin de la journée. Elle pense à la mallette remplie d'échantillons qui ballotte dans le coffre. Brièvement, légèrement. Et puis rien... L'idée gicle entre les panneaux de signalisation qui filent. Les vitres sont baissées, les mèches de ses cheveux s'emmêlent sur son visage. C'est comme ça. Toujours. Sur l'autoroute, tout s'efface.

Les paysages, les camions, le bruit, le chahut, alentour, au dedans. L'espace bave rouge à l'angle des paupières. La faute à la force centrifuge. Ça s'éclate fruits mûrs, contre la paroi nasale. Parfois elle saigne, d'autres larmoie. La faute à la pression sur les capillaires.  Ça coule, les gens, le présent, la mémoire, sur le chemisier blanc. C'est l'été et l'air rentre en tremblant, par sa bouche.
Grand ménage en vitesse : elle se vide du cerveau jusques en bas des fesses. Elle est un réceptacle creux en mouvement.

A l'arrêt, elle le sait, il faudra à nouveau faire semblant. Alors elle roule. A fond.
Surtout ne pas s'arrêter. Va savoir ce qui pourrait se passer si l'envie de pisser la stoppait sur une aire.
Au choix, elle pourrait reprendre ses esprits devant une fontaine, s'éclabousser les pieds dans des chiottes à la turque, marcher dans de la merde en montant dans l'auto, mâchouiller l'oeil fixe, un sandwich au volant, s'humecter le visage en matant un inconnu, tendre le bras au ciel pour avoir un réseau...

Ou alors, elle pourrait  finir le débondage. Sortir  de son sac une corde et se pendre, vomir les deux doigts tout au fond de la gorge, ou baisser sa culotte qu'un sexe la perfore.

Chercher à se vider, encore et encore.

jeudi 2 juin 2011

Dans le métro de 6h15, en route pour le travail, une corde dans le sac













Republication

Elle s'appelle Pélagie
articule
Pé-la-
-gie
ci-gît Péla-

ahah
meurt de rire
crève sur place

y a qu'à regarder
le corps sec
les bras osseux
les doigts noueux
les tâches bleues
sales coulures
sur les joues hâves

eh quoi ?

elle se cogne
(juste)
la tête
contre les murs

elle se bourre
(juste)
de coups
de poing la figure

elle ratatine
prend moins d'espace
a moins sommeil
et moins en-
vie

ah le mot quel pied !

elle en rirait
(encore)

si elle ne sentait
dans sa bouche
les dents choir
une à une

c'est ça
elle crève d'un trou
dans la mâchoire

trop de bruit
trop de rage
trop d'arrachage
trop l'amenuise
et tout l'épuise

elle pense à ça
à ses gencives
à son prénom
aux coques vides
dans la station